Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/331

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’avais trouvée un peu différente d’elle-même. Un fils ! un être sorti de mon être. C’était ma préoccupation exclusive depuis ce temps. Considérations sociales, jalousie du mari, mort de Viegas, rien ne m’intéressait, pas plus que les conflits politiques, les révolutions, les tremblements de terre, rien. Je ne pensais qu’à l’embryon anonyme, de filiation obscure, et une voix secrète me disait : « C’est ton fils. » Mon fils ! Et je répétais ces deux mots avec une certaine volupté indéfinissable, et je ne sais quel suprême orgueil. Je me sentais homme.

Le plus intéressant, c’est que nous causions tous les deux, l’embryon et moi, et que nous parlions de choses présentes et futures. Le petit diable était charmant ; il m’aimait déjà ; il me donnait de petites tapes sur la face avec ses mignonnes mains grassouillettes, ou bien encore il portait la toque et la robe des avocats, car il serait avocat ; et il faisait un discours à la Chambre des députés. De là, il revenait à l’école, et portait son ardoise et ses livres sous son bras ; de nouveau je le revoyais au berceau, d’où il se levait avec une stature d’homme. En