Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

scrute, et l’art qui charme, devenait orateur, mécanicien, philosophe, parcourait le globe, descendait dans les entrailles de la terre, s’élevait jusqu’aux nuages, collaborant ainsi à l’œuvre mystérieuse du maintien de la vie et de la mélancolie de l’abandon. Mon regard, lassé et distrait, vit ainsi arriver le siècle présent et derrière lui les siècles futurs. Celui-ci venait agité, adroit, vibrant, rempli de lui-même, un peu diffus, audacieux, savant, et malgré tout aussi misérable que les autres, et ainsi je le vis passer comme tous passeront après lui, avec la même égalité et la même monotonie. Je redoublai d’attention, j’allais enfin voir le dernier, — le dernier ! Mais à ce moment, la vélocité était telle qu’elle ne donnait plus prise à la compréhension ; auprès d’elle, la durée de l’éclair était un siècle. Les objets commencèrent à se confondre ; les uns grandirent, les autres s’amoindrirent, d’autres se perdirent dans l’ambiance. Une brume s’étendit autour de moi et couvrit tout, moins l’hippopotame qui m’avait amené et qui lui-même commença à diminuer, à diminuer, et fut réduit aux dimensions d’un modeste chat. Et c’était bien un chat, en vérité.