Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/73

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mes regards allaient de sa place au compotier avec de vains appels pour qu’il me servît. Mais il ne voyait rien que lui-même et ses convives. Et les impromptus se succédaient comme des ondées, m’obligeant à rentrer mon envie et ma demande. Je patientai tant que je pus. À la fin, je n’y tins plus. Je demandai de la confiture à voix basse ; puis j’élevai la voix, je criai, je battis pied. Mon père, qui m’eût donné la lune s’il eût dépendu de lui de le faire, appela une esclave pour me servir du dessert. Mais il était déjà trop tard. Ma tante Emerenciana m’avait enlevé de ma chaise et livré à une servante, en dépit de mes cris et de mes protestions.

L’improvisateur ne commit d’autre délit que de retarder le dessert et de provoquer ainsi mon exclusion. C’en fut assez pour que je jurasse d’exercer une vengeance, n’importe laquelle, pourvu qu’elle fût grande et exemplaire, et autant que possible rendît ma victime ridicule. Le Dr  Villaça était un homme grave, posé dans ses manières, âgé de quarante-sept ans, marié et père de famille. La queue en papier pendue à l’habit ou à l’ex-