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INTRODUCTION LXXI


croyons voir devant nous quelque personnage historique de l’époque. De bons juges, comme P. Paris, ont pu s’y laisser tromper[1]. Ce n’est que tout à la fin que l’on apprend qu’il s’agit ici de dame Beneurté, c’est-à-dire d’une simple allégorie. Les demoiselles qui constituent son entourage et qui remplacent leur maîtresse à tour de rôle, sont caractérisées par leur nom comme personnifications de pures abstractions : Connoissance, Avis, Raison, etc. Même ici, l’auteur s’est visiblement efforcé de leur attribuer à chacune un rôle individuel selon le caractère qu’elles devaient avoir : Foy, par exemple, est chargée d’examiner l’exactitude des faits avancés par Guillaume ; c’est à Charité qu’incombe la tâche difficile d’excuser la femme qui a manqué de parole à son fiancé, et c’est le devoir d’Honnesté de blâmer la vie honteuse du clerc d’Orléans. Leurs façons d’agir sont celles de personnes vivantes : elles grondent, elles menacent, elles s’emportent, et quand finalement le poète lance sa fameuse accusation contre les femmes et, en se moquant d’elles, les engage à parler toutes à la fois, pour en avoir fini d’autant plus vite, elles se mettent en effet toutes à pérorer en même temps, de sorte que le juge, en souriant, doit leur imposer silence.

Enfin, le poème tout entier est émaillé de nombreux traits de ce genre, empruntés à la vie quotidienne et

  1. Dans la Notice sur le poème du Voir Dit (p. xv, note i), P. Paris déclare que cette dame était Béatrix de Bourbon, veuve du roi de Bohême. Mais le savant éditeur a commis ici une singulière erreur : l’anagramme sur lequel il se base est celui du Confort d’ami qui n’a avec le Jugement dou Roy de Navarre d’autre rapport que celui d’être dédié au même personnage, le roi Charles de Navarre. On ne saurait donc en tirer aucune indication relative à la dame du débat amoureux.