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LXXVI INTRODUCTION


pendant qu’elle dort « seulette en estrange contrée », et épouse la sœur cadette, Phedra. Ariane devient l’épouse de Bacus et roïne couronnée. Machaut, on le voit, a supprimé quelques détails. Il n’explique pas comment Ariane secourt Thésée, en lui donnant le moyen de sortir du Labyrinthe ; peut-être, le poète français n’avait-il pas compris ce trait de la légende et n’avait-il su qu’en faire. Il ne dit rien non plus de l’histoire de la voile blanche et noire ; ce détail pouvait paraître inutile, quoiqu’il ne fût guère dans les habitudes de notre poète de s’arrêter à des scrupules de ce genre. Sur d’autres points il s’écarte nettement des données traditionnelles, communes aux auteurs anciens : au lieu du tribut annuel de sept jeunes gens et d’autant de jeunes filles, les Athéniens, d’après Guillaume, n’envoyaient qu’un homme tous les ans, Ce qui est plus significatif, c’est que Thésée, dans Machaut, est désigné par le sort pour se rendre en Crète, ce qui provoque l’étonnement de ses concitoyens, fait sur lequel le poète insiste tout particulièrement, quand au contraire les auteurs gréco-romains sont d’accord pour présenter le sacrifice de Thésée comme volontaire, à la suite du mécontentement du peuple athénien. Enfin, dans les textes latins, le dieu qui épouse Ariane est unanimement désigné parle surnom de Liber. On admettra difficilement que Guillaume ait été assez versé dans la mythologie romaine, pour substituer Bacus à Liber ; il a déjà dû trouver ce nom dans la source où il a puisé. Cette source, nous ne la connaissons pas : parmi les anciens, aucun auteur ne présente les faits tels que les donne Machaut[1].

  1. Il est évident que seuls les auteurs latins peuvent être pris en considération. Les brèves allusions des œuvres d’Ovide (Metamorph., VIII, 152 ss. ; Fastes, III, 469 ss.) ne pouvaient suffire à nos poètes du moyen âge. On trouve des récits plus détaillés chez les mythographes (Mythographi Vaticani, éd. Bode, 1834, I, 43 ; II, 124), dans le commentaire de Servius sur l’Enéide (III, 74 ; VI, 14 ; 28 ss.), dans les Fables d’Hygin (N. 41 et 42). C’est de la version de ce dernier que le récit de Guillaume se rapproche le plus, quoiqu’il y ait entre les deux quelques notables différences. Il faut remarquer que les Fables d’Hygin n’étaient pas tout à fait inconnues aux poètes français du moyen âge : l’auteur du Roman de Thebes pourrait avoir exploité les fables 66 ss. et Benoît de Sainte-More paraît avoir puisé à la fable 92 des détails que ne lui fournissait pas sa source principale (voy. Grôber, Grundriss der roman. Phil, II, i, 583 et 84) ; Risop, dans Florimont, constate des emprunts faits à la fable 192 (Abhandlungen für Tobler, p. 441, n. 2). Cependant, il n’est pas certain qu’il s’agisse là d’emprunts directs aux œuvres d’Hygin ; ils pourraient bien avoir passe par quelque intermédiaire médiéval.