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Page:Machiavel - Oeuvres littéraires - trad Peries - notes Louandre - ed Charpentier 1884.djvu/261

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CHANT DEUXIÈME.

tre à braire ensemble en se rencontrant, lorsqu’ils retournent
à l’étable.

C’est ainsi que l’on écoute ceux même qui parlent
mal : de là est venue, je crois, l’ancienne coutume de
dire une chose une seconde fois.

Souvent l’un d’entre eux, d’une voix tout à la fois
grave et aiguë, se met à braire ou à rire, s’il voit ou s’il
respire quelque chose qui lui plaise.

À cette époque donc, et à ce moment où le jour se sépare
de la nuit, je me trouvai dans un lieu aussi aride
que l’on en vit jamais.

Je ne pourrais vous dire comment j’y parvins ; je ne
sais même pour quel motif je tombai dans un lieu où je
devais laisser toute ma liberté.

Je ne pouvais faire un pas, tant ma crainte était
grande ; et la nuit était si obscure que je ne voyais nullement
où j’allais.

Mais ma frayeur s’accrut encore lorsque j’entendis un
bruit de cor dont le son était si perçant et si formidable
que c’est à peine si je suis rassuré en ce moment.

Il me semblait voir à mes côtés la mort avec sa faux,
peinte de ces couleurs dont sont peints ceux qu’elle a
choisis pour époux.

L’air était obscurci par un brouillard épais et sombre,
le chemin rempli de rochers, de broussailles et de mauvaises
herbes, et mes forces se trouvaient anéanties et vaincues.

A peine avais-je eu le temps de m’appuyer sur le tronc
d’un arbre, que mes yeux furent soudain frappés d’une
lueur entièrement semblable à celle qui jaillit du feu
des éclairs.

Mais elle ne disparut pas de même ; bien au contraire :
elle ne fit qu’augmenter ; et elle me parut plus considérable
et plus brillante en s’approchant de moi.

J’avais fixé sur elle mon regard, et j’entendais un certain
murmure, comme le bruit du feuillage, qui paraissait
la suivre.

J’étais pour ainsi dire privé de tout sentiment ; et,