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L'ANE D'OR.

troupeau paître dans la forêt, et de le ramener à sa
caverne.

C’est pour cela que je tiens en main ce flambeau et
ce cor : tous deux me sont utiles lorsqu’il arrive que
le jour vient à s’éteindre tandis que je suis dehors.

L’un me montre le chemin ; je fais retentir l’autre,
afin que, si quelqu’une de ces bêtes se trouvait égarée
dans la profondeur du bois, elle pût savoir où je suis.

Et si tu me demandais quel est ce troupeau, je te
répondrais : Sache que tous ces animaux que tu vois,
lorsqu’ils habitaient le monde, étaient comme toi des
hommes.

Si tu ne veux point ajouter foi à mes paroles, regarde
un moment comme ils se pressent autour de toi,
comme les uns te regardent, comme les autres te lèchent
les pieds.

Sais-tu ce qui les porte à te regarder de cette manière ?
C’est que tous sont affligés de ton malheur, et
du sort funeste qui t’attend.

Chacun d’eux, comme toi, fut étranger à ces forêts ;
et c’est ma souveraine qui depuis les a métamorphosés
de cette manière.

C’est du Ciel qu’elle a reçu le pouvoir de transmuter
un homme sous diverses formes, aussitôt qu’elle arrête
son regard sur son visage.

Je te conseille donc de venir avec moi, et de suivre
la trace de ce troupeau, si tu ne veux point expirer au
milieu de ces bois.

Et pour que Circé ne puisse voir la forme de ton
corps, et que tu parviennes à te dérober à ses yeux,
tu marcheras à quatre pattes au milieu du troupeau. »

Elle se mit en chemin alors avec un visage riant ; et
moi, ne voyant aucun autre remède, paissant avec les
bêtes sauvages, je me mis à la suivre, ayant à mes côtés
un cerf et un ours.