Page:Machiavel - Oeuvres littéraires - trad Peries - notes Louandre - ed Charpentier 1884.djvu/367

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de quelques-uns de ses services. Je lui répondis que désormais elle n'avait plus besoin de rien, et que sa charité monacale lui était entièrement inutile. Le misérable, qui déjà était hors de lui-même, qui, peut-être, pour faire avec elle une union plus intime, aurait volontiers rompu la nôtre, bien que ses yeux fussent en feu, et qu'il ne pût tenir dans sa robe, se détourna toutefois comme une couleuvre devant l'enchanteur, et voyant qu'il était mal reçu par madame, et que je ne lui faisais pas une réception fort amicale, releva les pans de sa robe, et alla au diable en marmottant je ne sais quoi entre ses dents. Ne vous imaginez pas pour cela que je la laissai toute seule : je la suivis, au contraire, jusque chez elle, où elle renferma mon pauvre cœur avec elle. Resté seul après avoir joui d'une société aussi aimable et aussi charmante, pour ne point m'écarter du plan que j'avais formé, je hâtai mes pas, et je me dirigeai vers l'église de San-Lorenzo, où j'étais habitué à voir celle qui avait joui de la fleur de mes beaux ans ; mais la nouvelle impression que je venais de recevoir était si forte, que, semblable à ceux qui ont bu les eaux du Léthé, je perdis la mémoire de toutes les autres femmes, quelque belles qu'elles fussent. Toutes mes pensées étaient restées enveloppées dans ces vêtements de deuil autour desquels je croyais voir à chaque instant tourner ce moine hypocrite et importun, et la jalousie s'était emparée de mon esprit au point que je ne pouvais penser à autre chose. Comme il me semblait que je perdais inutilement le temps, et brûlant du désir de revoir une beauté aussi désirée, je me hâtai de rentrer chez moi ; et mettant en oubli tous les événements tragiques dont la peste pourrait menacer, je me prépare pour la nuit prochaine aux plaisirs d'une comédie future.

Voilà, mon très cher compère, tout ce qui s'est offert a mes yeux dans le courant du premier jour du mois de mai. Quant à ce qui arrivera, après les noces je vous le ferai savoir. Dans ce moment, je ne suis pas en état de vouloir ou de pouvoir penser à autre chose.