Page:Madame de Mornay - Memoires - tome 1.djvu/80

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alumer de la chandelle, tant à cause d’elle que des voisins ; quand l’on me portoit à manger quelque morceau, c’estoit dans ung tablier, faignant venir quérir du linge pour madame de Foissy. Enfin, je partis de ce logis le mercredy, onzième jour après le massacre, sur les onze heures du matin, et entray dans ung bateau qui alloit à Sens, et ne voulut celui là m’arrester place dans le Corbillars, d’autant qu’il estoit tout public et qu’il craingnoit que quelqu’un ne m’y recongneust. Comme j’entroy dans ce bateau qui alloit à Sens, j’y trouvay deux moines et ung prestre, deux marchans avec leurs femmes. Comme nous feusmes aux Tournelles où il y avoit garde, le bateau fut arresté et le passeport demandé ; chacun montra le sien fors moy qui n’en avois point ; ils commencèrent lors à me dire que j’estoy huguenotte, et qu’il me falloit noyer, et me font descendre du bateau ; je les priai de me mener chez monsr de Voysenon, auditeur des comptes qui estoit de mes amys et qui faisoit les affaires de feu madamoyselle d’Esprunes, ma grant mère, lequel estoit fort catholique romain, leurs assurant qu’il respondroit de moy. Deux soldatz de la compaignie me prinrent et me menèrent à la ditte maison. Dieu voulut qu’ilz demeurèrent à la porte, et me laissèrent monter ; je trouvay le pauvre monsr de Voysenon fort estonné, et, encores que je fusse desguisée, m’appeloit madamoyselle et me contoit de quelques unes qui s’estoient sauvées là dedans. Je luy dis que je n’avois loysir de l’ouïr, car je pensois que les soldatz me suivissent, qu’il y avoit apparence que Dieu se vouloit servir de luy pour me sauver la vie, au-