Page:Maeterlinck - La Vie des abeilles.djvu/181

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l’ombre étroite et de la foule, on voit qu’elles ont peur de l’abîme azuré et de la solitude infinie de la lumière, et leur joie tâtonnante est tissue de terreurs. Elles se promènent sur le seuil, elles hésitent, elles partent et reviennent vingt fois. Elles se balancent dans les airs, la tête obstinément tournée vers la maison natale, elles décrivent de grands cercles qui s’élèvent et qui, soudain, retombent sous le poids d’un regret, et leurs treize mille yeux interrogent, reflètent et retiennent à la fois tous les arbres, la fontaine, la grille, l’espalier, les toitures et les fenêtres des environs ; jusqu’à ce que la route aérienne sur laquelle elles glisseront au retour soit aussi inflexiblement tracée dans leur mémoire que si deux traits d’acier la marquaient dans l’éther.

Voici un nouveau mystère. Interrogeons-le comme les autres, et s’il se tait comme eux son silence agrandira du moins de quelques arpents nébuleux, mais ensemencés de bonne volonté, le champ de notre ignorance consciente, qui est le plus fertile que notre activité possède. Comment les abeilles retrouvent-elles leur demeure, que, parfois, il est impossible qu’elles voient, qui souvent est cachée sous les arbres et dont l’entrée où elles abordent, n’est, en