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Page:Maeterlinck - La Vie des abeilles.djvu/251

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faible, du bossu qui ne peut soulever son fardeau, du boiteux qu’on renverse, de l’idiot qu’on houspille.

« Je les observe depuis bien des années. Nous sommes en Normandie, la terre est grasse et facile. Il y a autour de cette meule un peu plus de bien-être que n’en suppose ailleurs une scène de ce genre. Par conséquent, la plupart des hommes sont alcooliques, beaucoup de femmes le sont aussi. Un autre poison que je n’ai pas besoin de nommer, corrode encore la race. On lui doit, ainsi qu’à l’alcool, ces enfants que vous voyez là. Ce nabot, ce scrofuleux, ce cagneux, ce bec-de-lièvre et cet hydrocéphale. Tous, hommes et femmes, jeunes et vieux, ont les vices ordinaires du paysan. Ils sont brutaux, hypocrites, menteurs, rapaces, médisants, méfiants, envieux, tournés aux petits profits illicites, aux interprétations basses, à l’adulation du plus fort. La nécessité les rassemble et les contraint de s’entr’aider, mais le vœu secret de tous est de s’entre-nuire dès qu’ils peuvent le faire sans danger. Le malheur d’autrui est le seul plaisir sérieux du village. Une grande infortune y est l’objet, longuement caressé, de délectations sournoises. Ils s’épient, se jalousent, se méprisent, se détestent. Tant qu’ils sont pau-