Page:Maeterlinck - La Vie des abeilles.djvu/262

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en grappes insoucieuses sur les murailles mellifères sont brusquement tirés de leur sommeil par une armée de vierges irritées. Ils se réveillent, béats et incertains, ils n’en croient pas leurs yeux, et leur étonnement a peine à se faire jour à travers leur paresse comme un rayon de lune à travers l’eau d’un marécage. Ils s’imaginent qu’ils sont victimes d’une erreur, regardent autour d’eux avec stupéfaction, et, l’idée-mère de leur vie se ranimant d’abord en leurs cerveaux épais, ils font un pas vers les cuves à miel pour s’y réconforter. Mais il n’est plus, le temps du miel de mai, du vin-fleur des tilleuls, de la franche ambroisie de la sauge, du serpolet, du trèfle blanc, des marjolaines. Au lieu du libre accès aux bons réservoirs pleins qui ouvraient sous leur bouche leurs margelles de cire complaisantes et sucrées, ils trouvent tout autour une ardente broussaille de dards empoisonnés qui se hérissent. L’atmosphère de la ville est changée. Le parfum amical du nectar a fait place à l’acre odeur du venin dont les mille gouttelettes scintillent au bout des aiguillons et propagent la rancune et la haine. Avant qu’il se soit rendu compte de l’effondrement inouï de tout son destin plantureux, dans le boule-