Page:Maeterlinck - La Vie des abeilles.djvu/280

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

corps. Un jour, un être tout-puissant nous dépose au sein d’une cité fabuleuse. Nous reconnaissons qu’elle est faite d’une substance pareille à celle que nous sécrétons, mais pour tout le reste, c’est un rêve, dont la logique même, une logique déformée et comme réduite et concentrée, est plus déroutante que ne serait l’incohérence. Notre plan ordinaire s’y retrouve, tout y est selon notre attente, mais n’y est qu’en puissance et pour ainsi dire écrasé par une force prénatale qui l’a arrêté dans l’ébauche et empêché de s’épanouir. Les maisons qui doivent compter quatre ou cinq mètres de hauteur forment de petits renflements que nos deux mains peuvent recouvrir. Des milliers de murailles sont marquées par un trait qui renferme à la fois leur contour et la matière dont elles seront bâties. Ailleurs, il y a de grandes irrégularités qu’il faudra rectifier, des gouffres qu’il faudra combler et raccorder harmonieusement à l’ensemble, de vastes surfaces branlantes qu’il sera nécessaire d’étayer. Car l’œuvre est inespérée, mais fruste et dangereuse. Elle a été conçue par une intelligence souveraine qui a deviné la plupart de nos désirs, mais qui, gênée par son énormité même, n’a pu les réaliser que fort grossière-