Page:Maeterlinck - La Vie des abeilles.djvu/294

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développer, les pattes et les mandibules se fortifier, des sécrétions utiles se former, et le génie qui préside à la construction des demeures chercher et trouver en tous sens des améliorations surprenantes. Une telle étude exigerait un livre. Je n’en veux esquisser qu’un chapitre, moins qu’un chapitre, une page, qui nous montre à travers les tentatives hésitantes de la volonté de vivre et d’être plus heureux, la naissance, l’épanouissement et l’affermissement de l’intelligence sociale.

Nous avons vu voleter la malheureuse Prosopis, qui porte en silence dans ce vaste univers plein de forces effrayantes son petit destin solitaire. Un certain nombre de ses sœurs, appartenant à des races déjà mieux outillées et plus habiles, par exemple les Collètes bien vêtues, ou la merveilleuse coupeuse des feuilles du rosier, la Mégachile centunculaire, vivent dans un isolement aussi profond, et si, par hasard, quelqu’un s’attache à elles et vient partager leur demeure, c’est un ennemi ou plus souvent un parasite. Car le monde des abeilles est peuplé de fantômes, plus étranges que les nôtres, et mainte espèce a ainsi une sorte de double mystérieux et inactif, exactement pareil à la victime qu’il choisit,