Page:Maeterlinck - La Vie des abeilles.djvu/30

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ruche se transforme à l’instant en un buisson ardent de colère et d’héroïsme. Mais rien ne s’acquiert plus vite que la petite habileté nécessaire pour la manier impunément. Il suffit d’un peu de fumée projetée à propos, de beaucoup de sang-froid et de douceur, et les ouvrières bien armées se laissent dépouiller sans penser à tirer l’aiguillon. Elles ne reconnaissent pas leur maître, comme on l’a soutenu, elles ne craignent pas l’homme, mais à l’odeur de la fumée, aux gestes lents qui parcourent leur demeure sans les menacer, elles s’imaginent que ce n’est pas d’une attaque ou d’un grand ennemi contre lequel il soit possible de se défendre, qu’il s’agit, mais d’une force ou d’une catastrophe naturelle à laquelle il convient de se soumettre. Au lieu de lutter vainement, et pleines d’une prévoyance qui se trompe parce qu’elle regarde trop loin, elles veulent du moins sauver l’avenir et se jettent sur les réserves de miel pour y puiser et pour cacher en elles-mêmes de quoi fonder ailleurs, n’importe où et aussitôt, une cité nouvelle, si l’ancienne est détruite, ou qu’elles soient forcées de l’abandonner.