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ÉD. GRIMARD

MONOGRAPHIES VÉGÉTALES


LÉGUMINEUSES ET SOLANÉES (Suite.)



À dater de ce jour, la propagation fut assurée. C’est avec délices qu’on se régala de ces tubercules volés dont nul ne voulait naguère, car les parmentières surveillées acquirent aussitôt cet attrait irrésistible qu’auront éternellement, pour tous les enfants d’Ève, les séductions du fruit défendu.

Quelques détails physiologiques en terminant.

La morelle tubéreuse est une grosse plante d’aspect vulgaire, qui lourdement étale ses longs rameaux dans la poussière ou dans la boue. Quel que soit le respect qu’elle inspire, il faut bien avouer qu’on lui retrouve, en y regardant de près, un assez fâcheux petit air de famille. Sa verdure est de teinte terne et presque lugubre. Ses feuilles sont narcotiques, ainsi que ses fruits, et les bourgeons de ses tubercules (qu’on appelle les yeux de la pomme de terre) sont franchement vénéneux, grâce à la solanine qu’ils contiennent. — Avis aux cuisinières, qui doivent les ôter scrupuleusement quand elles les épluchent. — Ses petites fleurs, enfin, de mine sournoise, offrent un mélange de jaune terne et de violet blafard qui rappelle désagréablement les teintes suspectes qu’affectionnent les solanées.

N’importe, et malgré tout, respect et reconnaissance à notre honnête et si utile nouvelle tubéreuse. Sa conduite et son maintien nous prouvent qu’elle a l’intention d’être et de demeurer bienfaisante. On dirait que, comprenant l’inutilité manifeste de ses fruits — petites boules verdâtres et insignifiantes — elle s’ingénie à fournir, elle aussi, quelque produit alimentaire à l’humanité. Avec mystère et discrétion, elle y travaille, non sans succès. Dans le silence de ses ateliers souterrains, elle fabrique, tout le long de ses tiges modestement déguisées en racines, ces tubercules que nous mangeons et qui ne sont rien moins que de véritables magasins de provisions. Elle les remplit, les gorge de fécule. Et qu’elle est admirable, cette substance nutritive, d’où jaillit une poudre fine et brillante, dans la blancheur cristalline de laquelle le microscope découvre une agglomération d’innombrables petites coquilles de nacre à reflets changeants et moirés !

Inutile d’énumérer tous les usages alimentaires auxquels se prête cette solanée bienfaisante : plats de toute nature, gâteaux, bouillies, laitage rafraîchissant, potages veloutés… À quoi ne sert donc pas cette blanche fécule qui, en dépit de toute parenté compromettante, fait de l’utile parmentière l’un des éléments les plus importants de la nourriture de l’homme ? Que deviendrait l’Irlande sans la pomme de terre, et quelle lacune désastreuse ferait sa disparition dans l’alimentation des populations rurales ? Ajoutons enfin qu’elle se prête à des métamorphoses chimiques qui la transforment en glucose, en dextrine et surtout en alcool.

Depuis quelques années ce précieux végétal est affecté d’une maladie non contagieuse, mais épidémique, qui a dévasté nombre de grandes cultures. On a tout d’abord pensé que le mal avait pour cause un champignon microscopique qui, pénétrant par les pores de la feuille, descendait par les tissus de la tige jusqu’aux tubercules qu’il désorganisait. Cette hypothèse a été abandonnée, et l’on pense, aujourd’hui, que la maladie provient plutôt de quelque irrégularité dans les fonctions des parties aériennes de la plante. Ce qui paraît justifier cette opinion, c’est qu’on a réussi à enrayer le fléau en supprimant la tige extérieure et ses feuilles, ce qui permet aux tubercules de végéter et de mûrir dans le sol, sans communication directe avec l’atmosphère.

Quelques mots rapides sur deux autres morelles, appartenant également aux sola-