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LA FOUX-AUX-ROSES

paysannes, des enfants, de petites montagnardes qui allaient vers la plaine vendre leur lait, mais elle n’aperçut ni la robe bleue, ni les cheveux blonds de Nadine.

« Té ! que faites-vous donc là, mademoiselle Irène, droite comme un matelot en vigie ? » exclama près d’elle une voix joviale, un jour que, plantée sur les grosses pierres qui plongeaient dans l’eau, la fillette abritait ses yeux de sa main pour mieux interroger l’horizon.

Elle se retourna et vit derrière elle Raybaud. Le vieux marin, les bras croisés, la considérait avec son large et bienveillant sourire.

Alors, battant des mains :

« Comme vous arrivez bien, Raybaud, s’écria-t-elle. Vous qui êtes accoutumé à voir très loin sur la mer, dites, voyez-vous une petite fille en robe bleue, là-bas, au delà du champ aux roses ? »

Le brave homme fit de sa main une sorte de lunette et l’appliqua à son œil droit pendant qu’il fermait l’autre :

« Rien, mademoiselle, rien… Ah ! pardon, j’aperçois deux brimborions d’enfants contre le mur de Beau-Soleil ; mais je ne peux pas vous assurer que l’un d’eux soit une fille.

— Est-ce qu’ils viennent par ici ? interrogea Irène.

— Certainement non ; ils grimpent la colline vers les olivettes… Là… j’en suis sûr à présent, ce sont deux garçons. »

Un gros soupir lui répondit.

« Merci, Raybaud ; c’est qu’elle ne viendra pas encore aujourd’hui.

— Qui donc ça, elle ? Serait-ce par hasard votre cousine ? »

Irène secoua ses boucles dorées :

« Marthe ne voudrait pas s’occuper de moi ; mais c’est une petite fille qui est son amie et qui avait presque promis de devenir la mienne. Tante Dor croit qu’elle ne reviendra pas ; j’en ai peur maintenant, voilà plus de huit jours que je l’attends…

— Debout, sur ce caillou ? demanda malicieusement le marin. Vous feriez un fameux homme de bossoir.

— Méchant Raybaud, vous me comprenez bien. Je ne peux pas rester toujours sur ma pierre, ainsi que sœur Anne en haut de sa tour… J’étudie, je travaille tout comme à l’ordinaire ; je me promène, et je porte aussi chaque matin, sous le chêne vert, le déjeuner à mes petits oiseaux qui m’attendent… mais tout cela ne m’amuse plus comme avant ; les journées me paraissent deux fois plus longues, je pense sans cesse à Nadine.

— Pauvre pichoune ! C’est tout simple, une jeunesse comme vous a besoin de voir des jeunes : il faut le faire comprendre à Mlle Lissac.

— Oh ! non ; tante Dor croirait que je m’ennuie avec elle et serait peut-être triste.

— On voit que vous l’aimez bien, votre tante, dit Raybaud attendri ; mais alors ne pensez plus à la petite fille ; essayez de vous distraire… Voyons, je vais chez mon frère Thomas, le garde forestier près de la Marbrière, chercher ma femme ; avec la permission de Mlle Dorothée, vous pourriez monter sur ma mule… »

La proposition était sans doute très séduisante, car, d’un bond joyeux, Irène abandonna son observatoire.

« À la carrière de marbre ! oh ! la belle promenade. Tante Dor ne demandera pas mieux, j’en suis sûre ; nous allons la trouver sur notre chemin, occupée à faire mettre les échalas en place… Où est votre mule ?

— Par ici », dit le vieux marin, enchanté de la joie qu’il procurait.

Irène rajusta son chapeau de paille sur ses cheveux ébouriffés, et, déjà installée sur la bête, sollicita en passant l’autorisation de Mlle Lissac. Celle-ci n’eut garde de refuser, elle avait la plus grande confiance dans le père Raybaud. Ensuite on partit gaiement.

Laissons nos promeneurs gravir la colline ; retournons vers Beau-Soleil et la villa des Myrtes, dont les habitants vivaient dans une intimité qui augmentait chaque jour.

Lorsque M. Brial et l’architecte revenant, l’un de ses usines, l’autre de ses affaires, se rencontrent, ils causent amicalement, tout en regagnant leur demeure. De son côté,