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A. MOUANS

course eut crié à son camarade le solennel : « Lâche tout » que les deux amis suffirent à peine pour dévider le long fil qui le retenait captif.

« Est-il joli ! regarde comme il se balance avec aisance là-haut ! criait Jacques transporté ; c’est dommage que nous ne puissions pas aller le rejoindre, j’aimerais assez cela, moi. »

Ils demeurèrent longtemps le nez en l’air, en admiration devant le petit point rose dont la grande traîne frétillait comme la queue d’un poisson qui nage entre deux eaux. Tout à coup la corde tendue se relâcha.

« C’est le vent qui faiblit, entraînons-le un peu », dit Philippe.

Peine inutile, la descente continuait très rapide, et le jeune garçon, toujours courant, ne s’aperçut pas qu’il se rapprochait des arbres.

« Prends garde » cria Jacques essoufflé.

Hélas ! il était trop tard, la ficelle brusquement tirée venait de se rompre pendant qu’aux branches d’un grand châtaignier, le cerf-volant, retenu par sa queue, demeurait suspendu.

Les deux enfants se regardèrent consternés. Ce fut Philippe qui parla le premier :

« Voilà une mauvaise chance ! Que faire pour le déloger de là ? Peut-être qu’en lançant des pierres…

— Je crois que nous pourrions l’abîmer, il vaut beaucoup mieux monter à l’arbre.

— Essaye.

— Impossible, avec ma main bandée, mais pour toi, c’est très facile !

— Tu as raison. »

Et Philippe, après avoir jeté sa veste sur le sol, entoura le tronc de ses deux bras :

« Ouf ! que c’est haut ! fit-il en s’asseyant à la première fourche de l’arbre.

— Tu n’es pourtant pas arrivé, il faut encore que tu grimpes presque en haut de cette grosse branche.

— Je le vois bien. »

Il recommença son ascension et son camarade le perdit de vue au milieu des feuilles fraîches écloses.

« Y es-tu ? cria-t-il.

— Pas tout à fait !… tu sais… c’est très haut !

— Bah ! les branches sont solides, il n’y a pas de danger.

— Peut-être bien !… mais comment est-ce que je redescendrai ?

— Comme tu es monté ; as-tu peur ?

— Non certes !… mais… j’aimerais mieux être en bas.

— Tu n’es pas à vingt mètres comme avec la perche oscillante.

— Oh ! ce n’est pas la même chose, ce que je fais là est beaucoup plus difficile ! »

La voix de Philippe devenait de moins en moins assurée. Jacques l’apercevait maintenant à cheval sur la branche qu’il tenait des deux mains.

— Vas-tu rester là ? lui demanda-t-il en riant.

— Je n’en sais rien, c’est trop difficile !

— Mais, tu n’as pas seulement décroché le cerf-volant.

— Tant pis ! on payera un garçon pour venir le chercher ! »

Lentement, avec de grandes précautions, le premier gymnaste du lycée essaya de refaire le chemin déjà parcouru. Tout à coup, il s’arrêta :

« Jacques, j’en ai décidément assez ; crois-tu qu’on puisse trouver une échelle dans les environs ?

— Hum ! nous sommes à l’entrée du bois, il n’y a pas de maisons, je serai obligé d’aller loin… vas-tu m’attendre perché sur ta branche ? demanda Jacques très déconcerté.

— Il le faut bien, me voilà à une hauteur effrayante et, si je fais un mouvement, je suis certain de tomber ! »

Les paroles de Philippe se terminaient par un gémissement si lamentable que l’embarras de Jacques redoublait.

« Il me semble pourtant que, à ta place, j’essayerais de me glisser sur la branche que tu vois un peu plus bas, hasarda-t-il.

— Je voudrais bien t’y voir », grommela l’autre qui continuait à mesurer d’un œil de plus en plus effaré la distance qui le séparait du sol.