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J. LERMONT

valise bourrée de cadeaux pour la maison paternelle.

Qu’il est vif, chez nous, l’amour du foyer ! Que ce soit dans une misérable hutte en bouleaux entrelacés ou dans nos demeures les plus luxueuses, les deux tiers de notre vie se passent au foyer domestique. La rigueur du climat nous y oblige, nos goûts sembleraient nous y porter, même sans cela ; aussi ne pourrai-je jamais assez célébrer nos vertus familiales, l’entente entre chacun des membres de la famille, les habitudes patriarcales, comme les liens entre frères et sœurs, cousines, tantes, etc. Nous vivons avec une extrême simplicité. Les délicieux poissons de nos lacs, frais l’été, séchés ou fumés l’hiver, le lait crémeux de nos belles vaches, notre beurre exquis, que nous fabriquons de manière à lui donner une réputation européenne (je devrais dire universelle, car nous en exportons jusqu’en Amérique, aux États-Unis en particulier), le miel parfumé de nos abeilles, et des bouillies forment le fond de notre alimentation. Nous aimons peu la viande de boucherie, difficile à se procurer dans les solitudes du nord, et nous en consommons peu ; cependant, il n’est pas de ferme sans porcs et sans volaille, et les œufs nous sont une grande ressource.

Plus on avance vers le sud, plus le confort augmente, mais les très grosses fortunes sont rares chez nous, pour ne pas dire introuvables. Nous n’estimons que très modérément l’argent et nous considérons qu’il est au fond de pas mal de vilenies ; nous nous faisons une conception très élevée de nos devoirs dans la vie et il nous paraîtrait d’un mauvais exemple, lors même que nous aurions acquis une certaine fortune, d’en faire étalage, d’exciter des haines autour de nous, et de nous amollir par un excès de bien-être. Très travailleurs, très économes, très sobres et très simples, les Finlandais, pleins de considération pour leurs frères tout à fait pauvres, ne cherchent qu’à s’en rapprocher, à alléger leurs misères, à les traiter, en un mot, en frères moins favorisés.

Voilà pourquoi, ainsi que je le disais précédemment, les Sociétés de tout genre rapprochant, unissant toutes les castes, florissent en Finlande, si bien que, par ses sentiments de généreuse solidarité, notre petit pays pourrait être donné comme modèle à de beaucoup plus importants territoires.

Je semble m’éloigner de mon sujet ; je m’en écartais un peu seulement, pour bien faire comprendre les usages de ma chère patrie.

Plus on pénètre vers le nord, plus les habitations deviennent rares, disséminées, et perdues à travers les prairies, les lacs, les forêts épaisses. Plus au nord encore, il faut de courageux pionniers de la civilisation pour défricher, pendant les quelques mois d’été, les forêts vierges qui s’étendent vers la Laponie. Que de braves gens succombent, martyrs inconnus, dans d’infructueuses tentatives de culture ! Ce sont de nos bons prolétaires, des gens de la campagne, n’ayant pas un sou vaillant dans leur poche. N’importe, ils vont de l’avant. Ils travaillent, ils amassent un tout petit pécule pour les premiers achats indispensables. Mû par cet amour du foyer dont nous nous entretenions tout à l’heure, et qui est si enraciné chez nous qu’il passe avant toute autre considération, un pauvre ménage s’en va dans la forêt se bâtir une misérable cabane ; le terrain ne lui coûte rien, mais encore faut-il le conquérir pouce par pouce. Ces émigrants dans leur propre contrée ont à combattre de terribles ennemis : c’est, avec le froid et la faim, la fièvre, qui vient interrompre leurs travaux. Les forêts séculaires ont leurs profondeurs où le soleil n’a jamais pénétré, leurs marais pestilentiels. Le bûcheron abat les arbres et en fait commerce, mais les défricheurs de forêts finlandaises, pour aller plus vite en besogne, mettent le feu à la forêt, comme les Robinsons des terres d’Amérique autrefois. Les cendres deviennent un fertile engrais sur lequel ils sèment quelque avoine. Puis à l’œuvre, pour dessécher le marais dont les miasmes les tueront s’ils n’y prennent garde. La femme travaille comme son mari, la femme, trésor du ménage, qui relève le courage de l’homme dans les jours tristes. Et c’est un spectacle