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EN FINLANDE

les rires, les conversations se croisent… Rentré chez soi, on festoie gaiement. Il est bien misérable le logis où le mets national, le traditionnel riz au lait dans lequel est cachée l’amande messagère du bonheur pour celui qui la trouve, ne trône pas, après le substantiel plat de morue. Chez nous, on y joignit un jambon cuit entier, et des tartes et autres pâtisseries, triomphes de notre vieille bonne. Mais, avant de penser à notre repas, nous avions couru à l’écurie et dans les étables, Elsa et moi, afin de distribuer double ration à tous nos animaux. Et puis, remplissant une corbeille de miettes de pain et de menus grains, nous avions distribué leur pitance aux oiseaux du ciel. Noël ! Noël ! c’est fête pour tous les êtres vivants !…

Quoique l’usage en soit répandu dans nos villes plus que dans nos campagnes, nous avions tenu à avoir cette année un arbre de Noël ; mais, afin de pouvoir faire notre pieuse course matinale, au lieu d’avoir notre arbre de Noël la veille au soir, nous l’eûmes le jour même. Elsa était dans le ravissement le plus complet. Chargé de fruits, de fleurs en sucre ou en cire, de bonbons, de rubans, de paillettes, de lumières et de miroirs, l’arbre féerique portait sur ses branches des cadeaux pour tous, y compris les domestiques et les voisins. Elsa était gâtée, la chérie, et, quant à moi, on m’avait comblée, non pas de cadeaux coûteux, mais de souvenirs tendrement choisis et reçus avec quelle reconnaissance !…

Nous avions invité nos parents et amis à dix lieues à la ronde, et notre vieille bonne avait mis, comme elle disait, les petits plats dans les grands pour mieux les recevoir.

La quinzaine qui suivit se passa en réjouissances, chez les uns ou chez les autres. Ainsi le veut la coutume dans toute la Finlande. Au cours de l’année, il n’est pas d’excellentes choses que la ménagère ne mette de côté pendant de longs mois en prévision de ce temps béni. Les plus belles poires et les pommes les plus rouges, précieusement conservées, font leur apparition ce jour-là, et on se transmet de mère en fille des recettes culinaires jalousement gardées pour les exécuter alors.

Quant aux enfants, ils jouent, pendant cette quinzaine, à tous les jeux imaginables, et, du matin au soir, c’est, dans les vieilles maisons, un éclat de rire perpétuel.

Ils passèrent vite, ces jours de fête.

« Tu n’auras jamais le courage de retourner en pension », me disait Elsa, ignorant combien grandes y étaient mes attaches.

J’eus ce courage, pourtant, il le fallait d’ailleurs, mais je n’y retournais pas en étrangère. J’y avais mes chères amies et mes bonnes maîtresses, et bientôt la routine des devoirs journaliers et des obligations scolaires me reprit tout entière.

Le quatuor se retrouva au complet, avec quelques riants souvenirs en plus à se raconter. Nos séances se tenaient toujours à la même place, sous l’ombre protectrice du grand tableau noir. Là, nous nous faisions nos confidences, nous partagions fraternellement nos friandises, nous discutions même à notre façon des événements qui préoccupaient les grandes personnes autour de nous. Nos réunions étaient courtes, car il ne fallait pas attirer l’attention de nos compagnes ; mais, en revanche, elles étaient fréquentes, un rien suffisant à les provoquer.

Nous avions adopté un signe particulier pour nous télégraphier les convocations sans que nul en fût informé : lisser ses cheveux trois fois de suite de la main gauche, puis de la main droite, et recommencer le même geste de la main gauche ; on n’y voyait que du feu autour de nous. Mais cette petite manœuvre avait pour résultat de nous envoyer aussitôt dans notre salle de conférences.

Un jour, Aïno nous convoqua ainsi, les unes après les autres. À quel propos, nous l’ignorions ; mais l’air grave d’Aïno nous faisait un peu peur. Quel méfait avions-nous bien pu commettre ?

Tirant de sa poche le fameux parchemin sur lequel étaient consignées nos promesses, Aïno, solennellement, demanda :

« Qu’avons-nous juré ? Vous en souvenez-vous ? »