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JULES VERNE

N’importe, la question de Max Huber ne laissait pas d’être importante. « Kollo... Kollo !... » Ce mot, prononcé clairement, retentit à plusieurs reprises, et, en le prononçant, le jeune Wagddi levait la main à la hauteur de son front, puis se touchait la poitrine, sem­ blant dire : « Kollo... c’est moi ! » John Cort se dit que ce devait être le nom de leur nouveau domestique, et, lorsqu’il l’eut répété cinq ou six fois, Kollo, s’en mon­ trant tout joyeux, le témoigna par un rire prolongé. Car ils riaient, ces primitifs, et il y avait lieu d’en tenir compte au point de vue anthropo­ logique. En effet, aucun être ne possède celte faculté, si ce n’est l’homme. Parmi les plus intelligents, — chez le chien par exemple, — si l’on surprend quelques indices du rire ou du sourire, c’est seulement dans les yeux, et peut-être aux commissures des lèvres. En outre, ces Wagddis ne se laissaient point aller à cet instinct commun à presque tous les quadrupèdes, de flairer leur manger avant d’y goûter, et de commencer par ce qui leur plaît le plus. Voici donc en quelles conditions allaient vivre les deux amis, Llanga et le foreloper. Cette case n’était pas une prison. Ils en pour­ raient sortir à leur gré. Quant à quitter Ngala, nul doute qu’ils en seraient empêchés — à moins qu’ils n’eussent obtenu cette autorisa­ tion de Sa Majesté Msélo-Tala-Tala, le bon­ homme aux lunettes. Donc, nécessité, provisoirement peut-être, de ronger son frein et de se résigner à vivre au milieu de ce monde sylvestre dans le vil­ lage aérien. Les Wagddis semblaient d’ailleurs doux par nature, peu querelleurs, et — il y a lieu d’y insister, — moins curieux, moins surpris de la présence de ces étrangers que ne l’eussent été les plus arriérés des sauvages de l’Afrique et de l’Australie. La vue de deux blancs et de deux indigènes congolais ne les étonnait pas autant qu’elle eût étonné un indigène de l’Afrique. Elle les laissait indifférents, et ils

ne sc montraient point indiscrets. Chez eux aucun symptôme de badaudisme ou de sno­ bisme. Par exemple, en fait d’acrobatie, grim­ per dans les arbres, voltiger de branche en branche, dégringoler l’escalier de Ngala, ils en eussent remontré aux Billy Ilaydcn, aux Joë Bib, aux Foottit, qui détenaient à cette époque le record de la gymnastique circenséenne. En même temps qu’ils déployaient ces qua­ lités physiques, les Wagddis possédaient une extraordinaire justesse de coup d’œil. Lors­ qu’ils se livraient à la chasse des oiseaux, ils les abattaient avec de petites flèches, et leurs coups ne devaient pas être moins assurés, quand ils poursuivaient les daims, les élans, les antilopes, peut-être aussi les buffles et les rhinocéros dans les futaies voisines. C’est alors que Max Huber eût voulu les accompa­ gner — autant pour admirer leurs prouesses cynégétiques, que pour tenter de leur fausser compagnie. Oui ! s’enfuir, c’est à cela que les prison­ niers songent sans cesse. Or, la fuite n’était praticable que par l’unique escalier, et, sur le palier supérieur, se tenaient en faction des guerriers dont il eût été difficile de tromper la surveillance. Plusieurs fois, Max Huber eut le désir de tirer les volatiles qui abondaient dans les arbres, sou-mangas, tête-chèvres, pintades, huppes, griots, et nombre d’autres, dont ces sylvestres faisaient grande consommation. Mais ses compagnons et lui étaient quoti­ diennement fournis de gibier, et particulière­ ment de la chair de diverses antilopes, oryx, inyalas, sassalys, waterbucks, si nombreuses dans la forêt de l’Oubanghi. Leur serviteur Kollo ne les laissait manquer de rien ; il renouvelait chaque jour la provision d’eau fraîche pour les besoins du ménage, et la provision de bois sec pour l’entretien du foyer. Et puis, à faire usage des carabines comme armes de chasse, il y aurait eu l’inconvénient d’en révéler la puissance. Mieux valait garder ce secret et, le cas échéant, les utiliser comme armes offensives ou défensives. Si leurs hôtes étaient pourvus de viande,