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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/367

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A. MOUANS

encore plus frais que ceux de la veille partaient de ses lèvres et remplissaient le bosquet. Jacques, très embarrassé de sa personne, referma l’ombrelle, prêt à la replonger dans la Foux, lorsqu’un rayon de soleil, filtrant à travers les arbres, tomba d’aplomb sur une chose brillante, qui reposait au fond de l’eau dans un recoin moussu. Avec un cri de joie, il enfonça résolument le bout crochu du manche vers l’objet qui continuait à reluire :

« La voilà ! la voilà ! cria-t-il d’un air triomphant, j’étais sûr qu’elle était tombée là ! »

Mlle Dorothée cessa de rire car elle reconnut, passée au manche du parasol, la grande clef du père Lissac.

« La clef, la clef ! fit Irène en battant des mains, oh ! Jacques, que c’est gentil à vous de l’avoir repêchée. Tante, dis-lui que tu es contente, il le mérite bien ! »

Tout fier de son exploit, le garçonnet, avant la fin de ce compliment, se hissa sur la rive, remit prestement ses chaussures et sa veste et courut vers le pont.

« Voilà, dit-il en présentant sa trouvaille, ce n’est pas Norbert qui l’avait jetée, je vous assure,… et si j’avais pu deviner que vous seriez si bonne pour papa… »

Il s’interrompit et ses dents se mirent à claquer. La tante Dor ne pensait plus à la clef, ni au parasol ou à ses griefs de tout à l’heure ; son œil allait des joues pourpres du petit homme aux lèvres qui pâlissaient.

« Tu grelottes, petit malheureux ! je parie que tu as couru au soleil avant de te mettre à l’eau ? dit-elle d’un ton inquiet.

— C’est vrai, j’avais bien chaud, balbutia Jacques en s’appuyant à la porte.

— Vite, pas une minute à perdre, ton imprudence pourrait te conter cher… Beau-Soleil est trop loin… à la bastide. Irène, cours en avant, fais allumer des javelles… prépare du thé d’oranger ! »

Couvert du vêtement de la tante Dor, moitié traîné, moitié porté par elle, Jacques fit son entrée à la bastide où, après avoir été frictionné, il fut roulé dans une couverture devant la grande flambée de sarments qu’Irène et Marie-Louise attisaient avec ardeur.

« Bois maintenant, dit Mlle Lissac en lui présentant le breuvage brûlant, et reste là bien tranquille ; avant une heure, il n’y paraîtra plus.

— Merci, cousine Dor, je me sens déjà mieux, ma tête ne me fait plus mal… je ne tremble plus… et je suis bien content d’avoir repêché la clef… Oh ! je ne savais pas que vous étiez partie à Vintimille quand… »

Les paupières de Jacques battirent, ses yeux se fermèrent et sa respiration régulière annonça qu’il s’était profondément endormi au milieu de sa phrase.

« Nous en sommes quittes pour la peur, dit Mlle Dorothée après l’avoir considéré un instant, mais à Beau-Soleil on doit le chercher, s’inquiéter de sa longue absence s’il n’a pas dit où il allait… »

Après avoir refermé la porte de la chambre où le petit dormeur reposait, elle continua à parler et à s’agiter :

« Je pourrais envoyer prévenir ses parents par toi, Irène, ou même te charger de la commission, Marie-Louise, ce serait convenable et suffisant… si sa mère était en bonne santé… mais, avec une convalescente, on ne prend jamais trop de précautions… il faut une personne prudente… comme moi… allons, je le vois bien, je vais être forcée d’y aller moi-même. »

Pendant qu’elle parlait, la tante Dor avait remis son vêtement, son chapeau et quitté la bastide à pas pressés. Irène, juchée sur le petit mur, la suivit des yeux jusqu’à perte de vue, puis, frappant ses mains l’une contre l’autre :

« Voilà qui est plus fort que tout ! Tante Dor s’en va à Beau-Soleil ! aurais-tu cru cela, Marie-Louise ?

— Nenni, mademoiselle, c’est une drôle de chose qui s’arrive !

— Tu veux dire une chose très belle… très agréable… Ah ! si grand-père Lissac avait recommandé à ma tante de faire la paix !… comme elle serait bien plus heureuse… et moi aussi ! »

À Beau-Soleil, tout était en l’air ; les enfants, au retour de la messe, avaient appris