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ÉD. GRIMARD

MONOGRAPHIES VÉGÉTALES


LA PLANTE BIENFAITRICE (Suite.)



Mais ce n’est pas tout que d’avoir autour de soi tant de choses plus ou moins saccharifères, il faut savoir en extraire le sucre, ce que précisément ne pouvaient faire les peuples de l’antiquité qui n’avaient ni moyens d’extraction, ni procédés de raffinerie. Ils devaient donc se contenter du simple miel des abeilles, qui, soit dit sans les offenser, est bien inférieur au sucre proprement dit.

Or. les Grecs ne connaissaient le sucre que de nom, tout comme les Romains eux-mêmes, et, si les Orientaux se contentaient de sucer leurs cannes à sucre, les maîtres du monde n’avaient, pour édulcorer leurs boissons, que ce miel déjà nommé dont ils faisaient du reste un très grand usage. Ce fut l’expédition d’Alexandre qui leur révéla l’existence d’un autre « miel, doux suc d’un tendre roseau » comme s’exprime le poète Lucain, contemporain du trop illustre Néron. Quoi qu’il en soit — car les conquêtes ne se font que lentement — ce ne fut qu’au retour des croisades que les Européens purent boire de l’eau sucrée. Les Vénitiens furent les premiers à bénéficier de ce que rapportèrent les croisés du fond de cet Orient où ils étaient allés chercher tout autre chose que du sucre. Les Vénitiens eurent bientôt pour concurrents, dans le commerce qu’ils en faisaient, les Portugais, puis les Espagnols. Peu à peu, l’on transplanta la canamelle (premier nom de la canne à sucre) en Sicile, en Égypte, puis dans les Canaries, et enfin en Amérique, où s’étendit merveilleusement la culture de la précieuse graminée à qui nous devons, aujourd’hui, ces monceaux de « sucreries » qu’accumule autour de nous toute l’armée des pâtissiers, des confiseurs, des liquoristes, des limonadiers, des glaciers, des confituriers et autres artisans d’objets de convoitise, pour les petits et grands enfants que ravissent les douceurs.

Mais revenons à nos produits indigènes, à nos arbres européens ; allons faire un tour au verger, et c’est là que nous trouverons tout un peuple d’arbres fruitiers qui, certes, ne le cèdent en rien à leurs rivaux d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique.

Et c’est par le pommier que nous allons commencer.

La pomme, un fruit maudit ! Qui donc a dit cela ? Bon nombre d’historiens et à peu près tous ceux qui ont écrit sur la mythologie.

Calomnie impardonnable ! Je ne sais, en vérité, ce qu’elle leur a fait, à tous, cette innocente pomme, pour être ainsi traînée de fable en légende et de dogme en symbole. Voyez un peu cette série d’injurieuses qualifications : pomme de discorde, pomme d’Iduna, pomme empoisonnée, dont tous les médecins du monde antique, Hippocrate et Galien, les Arabes et ceux de l’École de Salerne, énumèrent avec une haineuse prolixité les vertus délétères. Depuis la pomme des légendes mythologiques, jusqu’à ces autres pommes modernes et devenues historiques, par suite de la haine que leur avait vouée Ladislas Jagellon, roi de Pologne, tout comme l’empereur Constantin, et qui incommodaient à tel point le physiologiste Haller qu’il les sentait jusque chez ses voisins, quelle série de malédictions et de calomnies contre ce fruit exquis et charmant dont la réhabilitation s’est fait attendre plus de soixante siècles !

N’en inférons rien de mal contre lui. Et d’abord, aucune preuve n’existe qu’il faille rendre le pommier responsable de la grave accusation dogmatique que la tradition fait peser sur lui, attendu que la pomme n’est désignée nulle part, et le mot fruit n’est autre chose, ici, que la désignation concrète d’un objet séduisant quelconque. Ce qui le prouve jusqu’à l’évidence, c’est que la légende de la