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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/47

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ÉD. GRIMARD

MONOGRAPHIES VÉGÉTALES


LÉGUMINEUSES ET SOLANÉES (Suite.)



Préalablement décortiquées, c’est-à-dire débarrassées de leur enveloppe indigeste, puis réduites en fine farine, les lentilles fournissent une purée de digestion facile que l’on donne sans inconvénient aux convalescents et même aux malades affectés d’un estomac délicat.

Ce n’est pas sans un légitime orgueil que ces fameuses lentilles, pour peu qu’elles fussent vaniteuses, pourraient montrer leurs lettres de noblesse. Les Romains, qui se connaissaient en bonnes choses, les appréciaient à un très haut degré, si bien qu’ils décernèrent le nom de Lentulus au chef d’une des plus nobles familles de la république romaine, pour le récompenser d’avoir introduit cette précieuse légumineuse dans l’alimentation de ses concitoyens — ce dont ledit Lentulus se montra fort honoré. — Ne le lui reprochons point du reste. Mieux vaut mille fois s’appeler Lentulus, ou Pison, ou Fabius (patrons des lentilles, des pois et des fèves) que Pierre-le-Cruel, Ivan-le-Terrible, voire même Charles-le-Téméraire, personnalités farouches, dont leurs contemporains n’eurent guère à se féliciter.

Mais revenons à nos lentilles, sans toutefois quitter les souvenirs historiques qui se rattachent à leur nom. Il paraît, en effet, qu’elles étaient particulièrement appréciées par la comtesse Dubarry, et M. Payen fait remarquer que, par une coïncidence assez bizarre, — question d’atavisme sans doute — c’est un homonyme et peut-être un descendant de cette femme de mémoire trop célèbre, qui, de nos jours, par d’artificieux procédés commerciaux, a essayé de faire de la farine de lentilles une « panacée universelle ».

Qui ne connaît l’histoire de cette douce révalescière Du Barry, qui devait infailliblement guérir toutes les maladies dont souffre notre triste humanité — affections de l’estomac, des intestins, du foie, de la rate, du cerveau, des nerfs, du sang — tout guérir, vous dis-je !

Or, de quoi donc se composait ce « spécifique unique » ? Tout simplement de farine de lentilles additionnée d’un peu de farine de pois, de maïs et d’avoine.

Mais c’est ici que l’histoire se complique : M. Du Barry, quelle que fût son habileté, ne pouvait se targuer d’être l’inventeur de la chose. Avant lui, un autre « philanthrope », un sieur Warton, avait répandu ses bénédictions sur l’humanité souffrante. Ces bénédictions prenaient un nom spécial : l’ervalenta, non moins efficace, cela va sans dire, que l’illustre revalenta… et qui n’étaient, du reste, l’une et l’autre, que cette même farine de lentilles déjà nommée.

Cela n’empêcha point que l’exploiteur de l’ervalenta ne vît une usurpation dans la presque similitude des noms et ne fît valoir devant les tribunaux ses revendications indignées. On plaida. Ervalenta contre revalenta ; Warton contre Du Barry, comme on dit au Palais. L’affaire fit un certain bruit. Les tribunaux de Londres — car c’est à Londres que Du Barry exerçait son industrie — se prononcèrent contre ce dernier et c’est alors que ledit sieur Du Barry, débouté de ses prétentions, appela révalescière son produit contesté.

Quoi qu’il en soit, les deux drogues firent merveilles. De copieux prospectus bourrés de lettres venant des quatre points cardinaux, annoncèrent aux populations que l’humanité l’avait échappé belle et que les maladies quelconques, désormais, n’avaient plus qu’à se bien tenir. Des papes, des cardinaux, des archevêques, des généraux, des ministres, des grands personnages de tous les mondes, sans compter la vile multitude des bourgeois inférieurs, déclarèrent tous (avec légalisation des signatures qui ne se recommandaient pas par elles-mêmes) que tous avaient été guéris,