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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/52

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LA FOUX-AUX-ROSES

et ses jambes ruisselants, mais… où donc est-elle ? »

Et il jetait de tous côtés des regards éplorés.

Norbert comprit :

« Ah ! vous cherchez votre machine ?… Elle a fait, comme vous, pouf ! dit-il en riant.

— Dans la rivière ?… Quel malheur ! Comment la ravoir ? »

Mais, à cette exclamation de détresse, le gros Jacques répondit par une autre :

« Parole d’honneur ! elle va réussir… A-t-on jamais vu une fille pareille ?… »

Nous avons dit que les deux frères, très occupés à aider le jeune étranger, n’avaient nullement fait attention à ce qui se passait sur l’autre bord de la Foux. S’ils en avaient eu le loisir, ils auraient vu que, suivant la jolie tête aux cheveux dorés, le corps svelte d’une petite personne d’une dizaine d’années n’avait pas tardé à abandonner sa cachette. Irène Lissac — car c’était elle — avait franchi en deux bonds la distance qui la séparait de la rive. Puis, comprenant que ses cousins suffiraient pour tirer de l’eau le maladroit qui s’y débattait, elle entreprit un autre sauvetage : la bicyclette, lancée plus loin que son maître dans le plein courant de cette eau rapide, s’en venait vers elle, traînant sur les cailloux du fond, lorsque trois énormes pierres qui s’avançaient dans le lit de la Foux comme un promontoire en miniature l’arrêtèrent au passage.

La petite fille, que son caractère décidé disposait à toutes les entreprises difficiles, s’aventura aussitôt sur ces roches minuscules et, s’y agenouillant, tira à elle l’infortunée machine. Il va sans dire qu’Irène était beaucoup moins forte que ses cousins ; mais très souvent l’adresse remplace avantageusement la vigueur physique. Lorsque Jacques poussa son premier cri d’étonnement, le vélocipède était déjà hissé à demi ; encore un effort et la fillette put le coucher au pied d’un arbre.

« Ma pauvre machine si jolie, toute neuve ! Courons voir si elle est cassée, exclama le malheureux cycliste sans songer à ses vêtements trempés. Où est le pont ?

— Bien loin, à plus d’un kilomètre ; il n’y en a pas sur les terres de papa, répondit Norbert.

— Ah ! mon Dieu ! comment faire ?… et la petite qui s’enfuit ! La voyez-vous au loin sous les arbres ?

— Oui, dit Jacques d’un ton rageur, elle se sera figuré que la bicyclette est à nous ; tu vois bien, Norbert, que cette Irène cherche à nous jouer de mauvais tours ?

— Soyez tranquille ! dit Norbert, votre machine est en sûreté et vous pourrez facilement l’avoir en la réclamant chez la personne à qui le bois appartient. Auparavant, il me semble que vous ferez mieux d’aller changer vos vêtements.

— Oui, mais comment retrouver ma route ? J’ai pédalé au hasard sans connaître le chemin ; savez-vous si je suis très loin de la villa des Myrtes ?

— Les Myrtes ! vous avez dit les Myr…

— Certainement, c’est le nom de l’habitation que papa a louée pour nous.

— Et vous y êtes depuis hier soir avec votre mère…

— Votre grand’mère, votre sœur…

— Un domestique et une bonne qui porte un drôle de bonnet…

— Et vous vous appelez Philippe !

— Comment le savez-vous ?

— Norbert ! s’écria Jacques, qui avait prononcé la dernière phrase avec une volubilité extraordinaire, tu avais raison, M. Jouvenet a un fils, et c’est une fameuse chance que nous l’ayons repêché ! »

Puis se tournant vers Philippe : « Nous sommes vos propriétaires !… vous ne vous en doutiez pas, hein ? »

Ils étaient si drôles — l’un ébahi et trempé, l’autre gonflé d’une comique importance — que la gaieté de Norbert éclata.

« Mon frère se trompe, il veut dire que la villa des Myrtes appartient à notre père, expliqua-t-il enfin.

— Ah ! j’y suis : vous êtes les enfants du monsieur qui a les grandes distilleries tout en bas sur la route ; papa nous les a montrées. Touchez là, mes amis, nous n’aurions pas tardé à nous connaître : mais c’est bien mieux