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A. MOUANS

barcation ne se risque à les remonter. Là est une des raisons qui rendent l’Afrique centrale si réfractaire aux efforts tentés jusqu’ici.

L’objection de John Cort avait donc sa valeur, Khamis ne pouvait le méconnaître. Mais, en somme, elle n’était pas de nature à faire rejeter le projet du foreloper, qui, d’autre part, présentait de réels avantages.

« Si nous rencontrons un cours d’eau, répondit-il, nous le descendrons tant qu’il ne sera pas interrompu par des obstacles… S’il est possible de tourner ces obstacles, nous les tournerons… Dans le cas contraire, nous reprendrons notre marche…

— Aussi, répliqua John Cort, ne suis-je pas opposé à votre proposition, Khamis, et je pense que nous avons tout bénéfice à nous diriger vers l’Oubanghi en suivant un de ses tributaires, si faire se peut. »

Au point où la discussion était arrivée, il n’y avait plus que deux mots à répondre :

« En route !… » s’écria Max Huber.

Et, ces mots, ses compagnons les répétèrent après lui.

Au fond, ce projet convenait à Max Huber : s’aventurer au milieu de cette immense forêt, impénétrée jusqu’alors, sinon impénétrable… Peut-être y rencontrerait-il enfin cet extraordinaire que, depuis trois mois, il n’avait pu trouver dans les régions du haut Oubanghi !

Jules Verne.

(La suite prochainement.)


LA FOUX-AUX-ROSES

Par A. MOUANS

CHAPITRE III


Lorsqu’elle eut couru quelque temps à travers le petit bois, Irène s’arrêta à l’endroit où le sol inclinait sur l’autre versant de la colline. Au milieu d’un terrain entouré d’un mur bas en pierres sèches, s’élevait l’antique demeure des Lissac, une grande bastide à laquelle le père de Mlle  Dorothée avait fait ajouter un étage. La fillette franchit la barrière ouverte et enfila l’allée droite qui conduisait à la maison. Sur les deux côtés s’étalaient des planches de légumes, de gros choux d’un vert sombre à côté de pieds de céleri au tendre feuillage ; tomates et aubergines enroulaient leurs tiges grimpantes autour des rames fichées en terre pour les soutenir.

Assise près de sa porte sur un siège de bois, le visage ombragé par les larges bords de sa capeline, Mlle  Dorothée tricotait. Grande, maigre, très active, la parente d’Irène parlait et agissait avec autorité.

« Me voilà, tante Dor, dit la petite en s’arrêtant devant elle, pour attirer son attention.

— Je le vois bien : mais d’où arrives-tu, je te prie ?

— De la Foux-aux-Roses, là-bas, du côté des orangers et j’y ai fait un sauvetage, un vrai, un beau sauvetage !… Je viens de repêcher… »

Mlle  Lissac haussa les épaules :

« Un petit chien ou un chat que tu vas me proposer d’adopter… Bon Diou ! comme te voilà faite !… tes cheveux dénoués, l’ourlet de ta robe trempé !… Est-ce ainsi qu’on s’amusait de mon temps ?… Non, certes, et ma mère avait coutume de dire que la meilleure récréation est celle qu’on passe à travailler. »

Irène était trop accoutumée au ton rébarbatif de la vieille demoiselle pour s’en inquiéter ; elle rejeta en arrière ses cheveux dorés, puis secouant les gouttelettes qui brillaient au bas de sa jupe :

« C’est l’eau de la Foux », dit-elle simplement.

Sa tante gronda de nouveau :

« Je m’en doute bien, puisque tu as été par