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ÉMILE MAISON

alors, employé avec adresse, devient la jauge de ce qu’accuse le produit, et de là est venue la vérité du proverbe : Cela vaut un pouce de meunier, avec cette variante : L’honnête meunier a le pouce d’or, par allusion au profit que lui rapportent ensemble labeur et science. Mais, à la suite de ce labeur permanent, le pouce du meunier acquiert une forme particulière qui rappelle beaucoup la figure du petit poisson qui grouille dans le canal du moulin, ce qui a fait donner le même nom au commensal du meunier qu’à l’organe du toucher du maître. »

Si j’ai guillemeté cette curieuse explication, c’est pour rendre hommage à Yarrell, qui la tenait de son ami J. Constable, fils d’un des plus gros meuniers de l’Essex et du Suffolk, et que j’ai pu en vérifier le double sens en vivant un peu moi-même de la vie de nos meuniers français, aussi en observant leurs hôtes de la rivière.

Hérissée de termes rébarbatifs, telle qu’on l’enseigne dans nos écoles, qui ne sont pourtant pas des succursales du Muséum et du Collège de France, l’histoire naturelle ne nous apprend rien que la vanité des langues mortes devant les espèces vivantes. Et n’est-ce pas que le chabot, tant méprisé à cause de son ingrate figure, qui lui donne un air hypocrite, n’est-ce pas que ce pseudo-têtard méritait bien les honneurs d’une présentation en règle ? Mais pourquoi bavard ? Serait-ce parce que, hors de l’eau et blessé d’un coup de fourchette, il fait entendre un petit grognement, tel le grondin ? Je dis hors de l’eau ; car je n’ai jamais ouï dire que, dedans, ce fût un moulin à paroles.

Soyons-lui pitoyable. C’est bien assez qu’il ait maille à partir avec l’anguille, celle-ci friande qu’elle est à l’excès de la chair du pauvre chabot, lui toujours caché sous les pierres et toujours tremblant. Le rat et la musaraigne lui sont aussi des motifs de terreur continuelle : il n’en dort pas.

C’est donc lui épargner une fin ignominieuse que de le pêcher, non pas à la ligne, comme m’en donnait naguère le conseil un professeur d’art halieutique ayant pignon sur rue dans les parages de la Bièvre, où jadis folâtraient des tribus de castors ; non pas même à la main, ce qui serait moins illusoire, mais à la fourchette de fer aux dents bien affilées. Encore, avec cet ustensile de cuisine, faut-il avoir bon œil et main leste ; car le chabot vous voit venir et il se dérobe avec une nage qui rappelle le jeu de cache-cache.

À la ligne, on en prendra un par hasard. Au cours d’une carrière déjà longue, telle surprise ne m’est pas advenue trois fois, même en péchant sur le gravier où il fraye, ou dans les biefs. Mais quand je veux manger une friture de cet excellent poisson, en y ajoutant quelques douzaines de loches bien grasses, j’attends que les eaux soient basses, et n’ayant peur de me mouiller les pieds, mon pantalon retroussé jusqu’au genou, en avant la fourchette ! Pour plus de commodité, nous l’avons emmanchée au bout d’un bâton.

Ensuite, l’heure venue de précipiter votre pèche dans la poêle, tranchez la tête du chabot, qui ne vaut pas le diable, étant trop cartilagineuse. Par contre, respectez la barbe, ou plutôt les barbillons de la loche franche, plus communément nommée dormille, du fait, j’imagine, de ses habitudes paresseuses.

Il convient de ne pas confondre celle-ci avec ses congénères, beaucoup plus allongées, tandis que la nôtre est plutôt de forme cylindrique ; la seule, au reste, qui vaille vraiment comme friture, étant fille des clairs ruisseaux et se plaisant sur les fonds caillouteux. Jolie avec cela ; robe pointillée de brun sur bronze doré, petite tête fine, la bouche au bout du museau avec des lèvres propres à sucer, les nageoires ventrales très en arrière, et au-dessus d’elles une petite dorsale ; écailles microscopiques. La lèvre supérieure est ornée de six barbillons, toujours en mouvement, alors même que la petite bête fait son somme.

Dans un ouvrage didactique, imprimé à Berlin, et signé, si ma mémoire n’est pas en défaut, du nom de l’illustre Pallas, dont les Allemands continuent de faire le plus grand cas comme physicien, sinon comme naturaliste, il me souvient d’avoir lu qu’on cherchait continuellement à prendre la loche au filet ou