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le navire devra être en mesure de repartir dans un mois au plus, après avoir passé au bassin de carénage.

— En haut tout le monde ! » commanda le second, dont maître Ollive vint recevoir les ordres.

Dix-sept cents barils à débarquer, c’est un travail qui ne demande pas moins d’une huitaine de jours, même s’il s’effectue avec méthode et activité. Les appareils furent dressés au-dessus des panneaux et la moitié des matelots se répartit dans la cale, tandis que l’autre moitié s’occupait sur le pont. On pouvait compter sur leur bon vouloir et sur leur zèle, ce qui dispenserait de recourir aux ouvriers du port.

Par exemple, si quelqu’un eut fort à faire, ce fut Jean-Marie Cabidoulin. Il ne laissait pas hisser un baril sans l’avoir examiné, vérifié qu’il sonnait le plein et qu’il ne donnerait lieu à aucune réclamation. En permanence près de l’appontement, son maillet à la main, il frappait chaque baril d’un coup sec. Quant à l’huile, il n’y avait pas à s’en inquiéter, elle était de qualité supérieure.

Bref, le débarquement s’opéra avec toutes les garanties possibles et le travail se poursuivit pendant toute la semaine.

Du reste, la besogne de maître Cabidoulin ne serait pas achevée avec le débarquement de la cargaison. Il faudrait remplacer les barils pleins par le même nombre de barils vides en vue de la nouvelle campagne. Heureusement M. Bourcart en trouva dans l’entrepôt de Victoria un stock qu’il se procura à bon compte. Toutefois, il y eut à les réparer, à les remettre en état. Gros travail auquel les journées suffisaient à peine, et si le tonnelier ne cessa de murmurer en dedans et même en dehors, il le fit au bruit des mille coups de maillet que le forgeron Thomas et le charpentier Férut frappaient à ses côtés.

Lorsque la cale du Saint-Enoch eut été débarrassée, on procéda à un complet nettoyage de la cale et du vaigrage intérieur.

À ce moment, le navire, déhalé de l’appontement, avait été conduit au bassin de carénage. Il importait de visiter l’extérieur de sa coque et de s’assurer s’il n’avait pas souffert dans ses œuvres vives. Le second et le maître d’équipage procédèrent à cette inspection — M. Bourcart s’en rapportait à leur expérience.

Il n’existait pas à proprement parler d’avaries sérieuses, seulement quelques réparations faciles, deux ou trois bandes du doublage en cuivre à remplacer, quelques gournables à fixer dans le bordage et la membrure, les coutures à regarnir d’étoupe, les hauts à recouvrir de peinture fraîche. Cette besogne s’effectua avec grande activité. Certainement, la relâche à Vancouver ne se prolongerait pas au delà des délais prévus.

Aussi comprendra-t-on que M. Bourcart ne cessât de manifester sa satisfaction, et le docteur Filhiol de lui répéter :

« Votre chance, capitaine… c’est votre bonne chance !… Et si elle continue…

— Elle continuera, monsieur Filhiol et savez-vous même ce qui pourrait arriver ?…

— Veuillez me l’apprendre…

— Ce serait que, dans deux mois, après sa seconde campagne, le Saint-Enoch revînt à Victoria vendre une nouvelle cargaison aux mêmes cours !… Si les baleines des îles Kouriles ou de la mer d’Okhotsk ne sont pas trop farouches…

— Comment donc, capitaine !… Est-ce qu’elles trouveraient jamais meilleure occasion de se faire amarrer… de livrer leur huile à des prix plus avantageux ?…

— Je ne le pense pas, répondit en riant M. Bourcart, je ne le pense pas. »

Il a été dit que le docteur Filhiol n’avait pu pousser ses excursions hors de la ville aussi loin qu’il l’eût désiré. Dans le voisinage du littoral, parfois il rencontra quelques indigènes. Ce ne sont pas précisément les plus beaux types de cette race de Peaux-Rouges dont il existe encore de remarquables spécimens dans le Far-West. Non, des êtres grossiers, épais de tournure, laids de visage, énormes têtes mal conformées, yeux petits, bouches larges, nez abominables dont les ailes sont traversées d’anneaux de métal ou de brochettes de bois. Et, comme si cette laideur naturelle ne leur suffisait point, n’ont-ils pas