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POUR L’HONNEUR

Par P. PERRAULT

CHAPITRE V


Voici, après quelques semaines d’observation, comment Pierre Marcenay définissait petit Greg à Gabrielle, un après-midi qu’ils promenaient ensemble l’oncle Charlot dans le jardin de bonne maman :

« Pas de gros défauts : ni menteur, ni paresseux, ni gourmand ; violent, mais très maître de lui, susceptible à l’excès et fermé à triple serrure…

— Qu’y a-t-il encore ? » interrompit la jeune fille, faisant signe à son compagnon d’écouter.

La maison avait perdu ses hôtes de passage. Plus de rires, de cris, de discussions à outrance. C’est entre les hautes murailles du couvent des Dominicaines que Blanche et ses amies, Jeanne et son petit clan, règlent à présent leurs éternelles disputes au croquet.

Mais les deux vieilles dames jouaient, à leur habitude, et, du salon, la voix de Caroline venait jusqu’aux promeneurs, suraiguë, acrimonieuse.

On devinait bonne maman tout à fait en colère, au ton de ses ripostes.

« Les voilà encore qui se chamaillent ! soupira Gabrielle, consternée.

— Bah ! repartit Pierre avec un mouvement d’épaule insouciant, cela rompt la monotonie du besigue. Elles s’endormiraient, sans cela ; nous les retrouverions en vis-à-vis, le nez sur leurs cartes, ronflant, si elles ne se taquinaient pas un peu : gardons-nous d’intervenir.

— Vous croyez ? prononça la jeune fille indécise. Qu’en dites-vous, oncle Charlot ? »

Le vieillard fit comprendre qu’il se rangeait à l’avis de son neveu ; et la conversation reprit en même temps qu’on se remettait en marche.

« Vous m’avez énuméré les défauts de Chaverny, remarqua Gabrielle, mais… et ses qualités ?

— Oh ! de ce côté, une vraie mine. Plein de cœur, attentionné pour mon oncle presque autant que vous, mademoiselle, et docile ! Avec cela intelligent, ardent à l’étude, plus même que je ne m’y attendais, passionné pour tout ce qui touche à la médecine. »

M. Saujon se mit à rire et, d’un signe, annonça qu’il avait quelque chose à conter, à ce propos.

Gaby et Pierre firent halte, afin de concentrer toute leur attention sur ce que le vieillard allait essayer de leur dire.

Après de longs tâtonnements, ils finirent par supposer que Greg avait dû masser l’oncle Charlot et le frictionner avec le gant de crin.

« C’est bien cela ? interrogea Pierre.

— Oui, oui, oui, affirma le vieillard, content de s’être fait comprendre.

— Vous ne le lui aviez pas commandé ?

— Non… lui… lui seul… »

Et il s’efforça de mimer la scène, qui avait dû être très drôle et beaucoup le divertir.

« C’est de l’intuition, cela, observa Gabrielle. Où cet enfant aurait-il vu pratiquer le massage et appris qu’il peut avoir de bons effets dans certains cas ? Ce sont vraiment des dispositions à cultiver.

— C’est ce que je me dis parfois, repartit Pierre soucieux. Mais c’est une grosse entreprise. Je vous avoue que j’hésite. Mes vignes sont tellement phylloxérées que pendant cinq ou six ans j’en tirerai peu de revenu… J’en viens presque à regretter la responsabilité que j’ai assumée ; et cependant !… qu’il est intéressant, le brave gamin ! »

M. Saujon prêtait à son neveu une attention inquiète. Il approuva Gabrielle d’un geste énergique lorsqu’elle répondit :

« Oui, il est intéressant, avec sa petite figure avenante et son air réfléchi. S’il parle peu, son regard dit beaucoup. Je crois que, déjà, il vous est très attaché, monsieur Pierre.