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l’empire du Japon, dont il prolonge le domaine ; l’autre partie septentrionale relève de la province russe du Kamtchatka et ses habitants, petits, velus, sont désignés sous le nom de Kamtchadales.

M. Bourcart ne songeait point à relâcher au milieu de ce groupe, où il n’avait que faire. Il lui tardait d’avoir franchi cette barrière qui limite la mer d’Okhotsk au sud et au sud-est afin de commencer sa seconde campagne.

Ce fut en doublant le cap Lopatka, à l’extrémité de la presqu’île kamtchadale et en laissant Paramouchir sur bâbord, que le Saint-Enoch pénétra dans les eaux sibériennes le 23 août, après trente-six jours de navigation depuis Vancouver.

Ce vaste bassin d’Okhotsk, très protégé par cette longue bande des Kouriles, comprend une superficie trois ou quatre fois supérieure à celle de la mer Noire. Tout comme un océan, il a ses tempêtes, parfois d’une extrême impétuosité.

Le passage du Saint-Enoch à travers le détroit fut marqué par un accident peu grave, mais qui aurait pu l’être.

Le bâtiment se trouvait à l’endroit le plus resserré de l’inlet, lorsque, sous l’action d’un courant, son avant vint à heurter un haut-fond dont la position était inexactement indiquée sur la carte.

Le capitaine Bourcart était alors sur la dunette, près de l’homme de barre, et le second près du bastingage de bâbord, en observation.

Dès le choc, qui fut assez léger, ce commandement se fit entendre :

« À masquer les trois huniers ! »

Aussitôt l’équipage se mit sur les bras des vergues, et elles furent orientées de telle sorte que, le vent prenant sa voilure à revers, le Saint-Enoch put se dégager en culant.

Mais le capitaine Bourcart vit que cette manœuvre serait insuffisante. Il serait nécessaire d’élonger une ancre à l’arrière pour se déhaler.

À l’instant même, le canot fut lancé à la mer avec une ancre à jet. Puis, le lieutenant Coquebert, accompagné de deux novices, s’occupa de la mouiller à un endroit convenable.

Le choc, on le répète, n’avait pas été rude. Un navire aussi solidement construit que le Saint-Enoch devait s’en tirer sans aucun dommage.

Au surplus, comme il avait touché à mer basse, vraisemblablement, dès que la marée se ferait sentir, son ancre l’empêchant de s’engraver davantage, il se relèverait de lui-même.

Le premier soin de M. Bourcart avait été d’envoyer le maître d’équipage et le charpentier à la pompe. Tous deux reconnurent que le bâtiment ne faisait point eau. Nulle apparence d’avaries ni dans le bordé ni dans la membrure.

Il ne s’agissait plus que d’attendre le flot, ce qui ne tarda guère et, après quelques raclements de sa quille, le Saint-Enoch se déhala du bas-fond. Ses voiles furent aussitôt orientées, et, une heure après, il donnait dans la mer d’Okhotsk.

Les vigies reprirent alors leur poste sur les barres du grand mât et du mat de misaine, afin de signaler les souffleurs qui passeraient à bonne distance. Personne ne doutait de réussir ici comme à la baie Marguerite ou à la Nouvelle-Zélande. Avant deux mois, le Saint-Enoch, de retour à Vancouver, aurait écoulé son second chargement à des prix non moins avantageux que le premier.

Le ciel était très dégagé. Il ventait une jolie brise du sud-est. La mer se gonflait en longues houles sans déferler, et les embarcations ne risquaient pas d’être gênées dans leur marche.

Il y avait un certain nombre de navires en vue, — des baleiniers pour la plupart. Probablement, ils exploitaient ces parages depuis quelques semaines, et poursuivraient leur campagne jusqu’à l’hiver. Les autres bâtiments étaient à destination de Nicolaïevsk, d’Okhotsk, d’Aian, les principaux ports de cette région, ou ils en sortaient pour regagner le large.

À cette époque déjà, Nicolaïevsk, capitale de la province de l’Amour, située presque à l’embouchure du grand fleuve de ce nom,