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et il n’y a pas à s’inquiéter autrement de leur présence.

Mais, lorsque les hommes vont à terre pour couper du bois, par exemple, s’ils n’ont rien à craindre des bipèdes, ils doivent prendre des précautions contre certains quadrupèdes fort dangereux. Les ours, nombreux dans la province, sortent en bandes des forêts voisines, attirés par les carcasses de baleines échouées sur la grève, et dont ils paraissent très amateurs.

Aussi les gens du Saint-Enoch, en corvée, se munissaient-ils de lances, afin de se défendre contre les agressions de ces plantigrades.

C’est d’une autre façon que procèdent les Russes. En présence d’un ours, ils opèrent avec une adresse toute particulière. Attendant l’animal de pied ferme, agenouillés sur le sol, ils mettent les deux mains sur leur tête en tenant un couteau dressé verticalement. Dès que l’ours s’est précipité sur eux, il s’enferre de lui-même, et, le ventre traversé, tombe à côté de son courageux adversaire.

Cependant, presque chaque jour, après avoir levé l’ancre, le Saint-Enoch louvoyait hors de la baie Finisto à la recherche des souffleurs, et il rentrait le soir à son mouillage sans avoir réussi.

D’autres fois, servi par un bon vent, sous ses trois huniers, sa misaine, ses focs, il prenait le large, les vigies en observation, les pirogues prêtes. Mais c’est à peine si un cétacé était signalé par vingt-quatre heures, et à de telles distances qu’on ne pouvait songer à le poursuivre.

Le Saint-Enoch vint alors en vue d’Ayan, petit port de la côte occidentale, où le commerce des pelleteries a pris une grande importance.

Là, l’équipage put ramener à bord un baleineau de moyenne taille — de l’espèce de ceux que les Américains nomment « krampsess ». Il flottait mort et ne rendit que six barils d’une huile à peu près semblable à celle des cachalots. On le voit, les résultats de cette campagne dans le nord du Pacifique menaçaient d’être nuls.

« Et encore, répétait M. Heurtaux au docteur Filhiol, si nous étions en hiver, on se rabattrait sur les loups marins… À partir d’octobre, ils fréquentent les glaces de la mer d’Okhotsk, et leurs fourrures se vendent assez cher.

— Par malheur, monsieur Heurtaux, l’hiver n’arrivera pas avant quelques semaines, et, à cette époque, le Saint-Enoch aura quitté ces parages…

— Alors, monsieur Filhiol, nous reviendrons, la cale… autant dire le ventre vide ! »

Il est très vrai que, dès la formation des premières glaces, ces amphibies, loups marins ou autres, apparaissent par centaines, si ce n’est même par milliers, à la surface des ice-fields. Tandis qu’ils se chauffent au soleil, il est facile de les capturer, à la condition de les surprendre endormis. Les pirogues s’approchent à la voile. Quelques hommes débarquent, saisissent l’animal par les pattes de derrière et le transportent dans l’embarcation. D’ailleurs, ces loups marins, très défiants, ont l’ouïe extrêmement fine, le regard d’une acuité surprenante. Aussi, dès que l’éveil est donné à l’un d’eux, les voilà en rumeur, et toute la bande a vite fait de s’enfuir sous les glaces.

Le 4 septembre, le lieutenant Coquebert rencontra encore une baleine morte. Après lui avoir passé l’amarre de queue, il la ramena à bord, où elle fut mise en position d’être virée le lendemain.

On alluma donc la cabousse, et la journée entière fut employée à fondre le lard. Ce qu’il y eut à remarquer, c’est que cet animal récemment blessé au flanc, n’avait certainement pas été frappé d’un coup de harpon. La blessure était due à la morsure de quelque squale. Au total, cette baleine ne donna que quarante-cinq barils d’huile.

D’ordinaire, lors des pêches dans la mer d’Okhotsk, on procède autrement que sur les autres parages. Les pirogues, envoyées loin du navire, restent cinq à six jours parfois avant de revenir à bord. Ne pas en conclure qu’elles demeurent tout ce temps à la mer. Au soir, après avoir regagné la côte, elles