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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/230

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Elles se séparèrent alors de manière à lui couper la route, en cas qu’elle voulût prendre la fuite.

Tant de précautions n’étaient point nécessaires, et le second de crier presque aussitôt :

« Pas à craindre qu’elle s’enfuie ou s’enfonce… celle-là !…


— Ni qu’elle se réveille !… ajouta le lieutenant Coquebert. Elle est morte…

— Décidément, répliqua Romain Allotte, il n’y a plus que des baleines crevées dans ces parages !…

— Amarrons-la tout de même, répondit M. Heurtaux, car elle en vaut la peine ! »

C’était un énorme baleinoptère, qui ne semblait pas être en état de décomposition avancée, et sa mort ne devait guère remonter qu’à vingt-quatre heures. Il ne se dégageait aucune fétide émanation de cette masse flottante.

Par malheur, lorsque les pirogues eurent contourné l’animal, on vit une large déchirure à son flanc gauche. Les entrailles traînaient à la surface de l’eau. Une portion de la queue manquait. La tête présentait les traces d’une forte collision, et la bouche grande ouverte était dégarnie de ses fanons, qui, décollés des gencives, avaient coulé. Quant au gras de ce corps déchiqueté et imbibé, il n’offrait plus aucune valeur.

« Dommage, dit M. Heurtaux, qu’il n’y ait rien à tirer de cette carcasse !…

— Alors, demanda le lieutenant Allotte, ce n’est pas la peine de la prendre en remorque ?…

— Non, répondit le harponneur Kardek, et elle est dans un tel état que nous en laisserions la moitié en route.

— Au Saint-Enoch », commanda M. Heurtaux.

Les trois pirogues, ayant vent debout, garnirent leurs avirons. Mais, comme le bâtiment, après avoir éventé ses voiles, se rapprochait, elles l’eurent bientôt rejoint et furent hissées à bord.

Lorsque M. Bourcart eut entendu le rapport du second :

« Ainsi, dit-il, c’était un baleinoptère ?…

— Oui, capitaine.

— Et il n’a pas été piqué ?…

— Non, certes, déclara M. Heurtaux, et des coups de harpon ne font pas de telles blessures… Il semblerait plutôt que celui-ci aurait été écrasé…

— Écrasé… par qui ?… »

Il n’aurait pas fallu le demander à Jean-Marie Cabidoulin. Ce qu’il aurait répondu, on le devine. Avait-il donc eu raison contre tous,