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Maintenant, il n’y avait qu’à attendre la remontée du culammak qu’il était impossible de suivre à bout de ligne. Ce qu’il y avait à désirer, c’était qu’il se relevât sous le vent, afin que les pirogues pussent le poursuivre à l’aviron et à la voile.

Du reste, aucun autre cétacé ne se montrait en ces parages.

Il était un peu plus de quatre heures, lorsque le culammak apparut de nouveau. À cet instant, s’échappèrent deux jets énormes qui sifflèrent comme une mitraille.

Un demi-mille seulement le séparait des pirogues et sous le vent.

« Hissez les voiles, armez les avirons, et cap dessus… », cria M. Heurtaux.

Une minute après, les embarcations filaient dans la direction indiquée.

Cependant l’animal continuait à s’éloigner vers le nord-est et, son dos émergeant, nageait avec une certaine vitesse.

La brise ayant quelque peu fraîchi, les pirogues ne laissaient pas de gagner sensiblement sur lui.

De son côté, le capitaine Bourcart, craignant que celles-ci ne fussent entraînées très loin, fit orienter les voiles, afin de ne point les perdre de vue. La route qu’il ferait au nord-est, ce serait cela d’épargné en temps et en fatigues, lorsque les embarcations chercheraient à regagner le bord avec l’animal à la remorque.

La chasse se poursuivit dans ces conditions. Le culammak fuyait toujours, et les harponneurs ne parvenaient pas à l’approcher d’assez près pour le piquer.

Il est certain que les pirogues, réduites à leurs seuls avirons n’auraient pu se tenir si longtemps à pareille allure. Heureusement le vent leur vint en aide, et la mer se prêtait à une marche rapide. Toutefois, la nuit n’obligerait-elle pas M. Heurtaux et ses hommes à revenir au Saint-Enoch ?… Ils n’étaient point assez munis de vivres pour rester au large jusqu’au lendemain… Si le baleinoptère n’avait pas été rejoint avant la tombée du jour, force serait de renoncer à continuer la chasse.

Or, il semblait bien qu’il en serait ainsi, et il était près de six heures et demie, lorsque le harponneur Durut, resté debout sur le tillac, cria :

« Navire par l’avant. »

M. Heurtaux se redressa au moment où les lieutenants Coquebert et Allotte cherchaient à apercevoir le bâtiment signalé.

Un trois-mâts, tout dessus, serrant le vent d’aussi près que possible, venait d’apparaître à quatre milles en direction du nord-est.

Que ce fût un baleinier, on n’en pouvait douter. Peut-être même ses vigies avaient-elles vu le culammak qui se trouvait à mi-chemin entre les pirogues et lui.

Soudain, Romain Allotte de s’écrier en baissant sa longue-vue :

« C’est le Repton

— Oui… le Repton !… répondit M. Heurtaux. Il semble vouloir nous couper la route…

— Avec ses amures à bâbord… ajouta Yves Coquebert.

— C’est pour venir nous saluer ! » répliqua ironiquement le lieutenant Allotte.

Huit jours s’étaient écoulés depuis que le bâtiment anglais et le bâtiment français s’étaient séparés, après avoir quitté ensemble Pétropavlovsk. Le Repton avait mis le cap plus au nord, probablement dans l’intention de gagner la mer de Behring, et voici qu’il reparaissait sans avoir doublé les extrêmes pointes des îles Aléoutiennes.

Le capitaine King voulait-il donc, lui aussi, courir sur l’animal que les pirogues du Saint-Enoch poursuivaient depuis trois longues heures ?…

Il y eut certitude à cet égard, lorsque le harponneur Kardek dit à M. Heurtaux :

« Les voici qui mettent leurs embarcations à la mer…

— Évidemment… c’est pour amarrer la baleine…, déclara le lieutenant Coquebert.

— Ils ne l’auront pas ! » répondit résolument Romain Allotte.

Et tous ses compagnons de faire chorus, ce qui ne saurait surprendre.

Cependant, bien que la mer commençât à s’obscurcir, les pirogues du Repton filaient à