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P. PERRAULT

coltait dans ses propres champs ; car il était « calé », le père Fochard. Omer trouverait, prête à lui être mise en main, comme compensation à la dot de ses sœurs, une jolie « borderie » pouvant tenir huit vaches : de quoi l’occuper et lui permettre de s’établir avantageusement lorsque le cœur lui en dirait.

Ces détails, c’est Mme Fochard, une forte matrone, très belle sous son haut coeffage, qui les donnait à l’ami de son fils.

Ils étaient restés à causer tous les deux, auprès de la table encore chargée des reliefs du déjeuner, tandis que le maître de céans et ses deux filles, retirés dans le fournil, s’occupaient à cuire les pâtés et les tartes destinés au repas des accordailles.

« Excusez mon mari s’il vous fausse compagnie un moment, reprit Mme Fochard, il a tant d’ouvrage ! C’est sa passion, voyez-vous, de cuisiner. Il est plus fier de sa réputation de chef que de son bétail, qui cependant lui fait honneur. »

Et, d’un ton mystérieux, à voix plus basse : « Ce soir, on plantera deux « mais[1] » en l’honneur de mes filles. Ce n’est plus l’usage chez vous ?

— Non, madame ; je n’en ai jamais entendu parler.

— C’est drôle qu’il y ait des pays où ça se perde. On garde toutes les vieilles coutumes, par ici. C’est comme le coeffage : on montrerait au doigt celle qui s’aviserait de le quitter. Vous verrez aux accordailles de mes filles… »

Elle s’interrompit pour regarder Pierre et lui sourire en disant :

« Quel honneur pour nous, monsieur, que vous y assistiez ; vous verrez des fermières qui auront sur la tête pour des centaines de francs de dentelles ; vous pensez qu’elles pourraient bien prendre le chapeau : elles n’ont garde ! Ni vous non plus, n’est-ce pas, mademoiselle, ajouta la matrone après être allée ouvrir la porte à une personne qu’elle voyait venir ; n’est-ce pas que, pour rien au monde, vous ne renonceriez à votre coeffage ? »

Et, sans attendre une réponse dont elle était certaine :

« Nous parlions avec M. Marcenay, un ami du garçon, qui sera aux accordailles, ma chère, fit-elle en redressant sa haute taille, nous parlions des vieilles coutumes. Vous pouvez questionner là-dessus Mlle Brigitte Lorin : elle connaît tous nos usages, monsieur Marcenay. Si on est embarrassé pour faire les choses comme ça se doit, on n’a qu’à s’adresser à elle ; on est renseigné vite et bien. Au fait ! Qu’est-ce qu’elle ne sait pas ! Je ne connais point de mémoire pareille à la sienne. Demandez-lui le prix du beurre à telle foire d’il y a vingt ans, elle vous le dira sans se tromper d’un centime. C’est la marraine de ma fille aînée et notre ancienne directrice de poste. Elle en a vu passer, du monde, à son guichet !

— Dame ! en trente-cinq ans, on a le temps d’en voir ! » observa Mlle Brigitte.

Puis, s’adressant à Pierre :

« Vous n’étiez pas encore venu au pays, monsieur ?

— Non, mademoiselle ; je ne connaissais pas cette partie de la France.

— Vous choisissez une vilaine saison pour votre première visite ; bien qu’en Vendée il ne fasse jamais très froid.

— Au vrai, je ne l’ai pas choisie, répondit Pierre. Je suis chargé d’une mission dont j’ai bien peur de me très mal tirer, si j’en juge par le début. Tout le monde n’est pas doué d’une mémoire comme la vôtre, mademoiselle. Il ne s’est rencontré jusqu’ici personne se souvenant de ce que je désire apprendre.

— Dame ! si ceux que vous avez interrogés ne le savaient point…

— Le fait s’est passé dans le pays : il y a, il est vrai, vingt-cinq ans… Je recherche quelqu’un qui a été victime d’un accident de voiture.

— Vous connaissez son nom ?

— Ni son nom, ni son point de départ. Où se rendait-il ? Je n’en suis pas davantage informé : vous le voyez, mesdames, le problème est ardu… Je donnerais beaucoup pour réussir. Le principal intéressé ne pouvant absolument plus faire ces démarches lui--

  1. Jeune arbre vert qu’on orne de rubans ou de fleurs, selon la saison.