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ALBERT FERMÉ

sur l’eau ; il y tombe ; en un clin d’œil le courant l’a emporté.

Clinias a la figure ensanglantée de piqûres. Junius est terrifié, mais le pédagogue rit tout en s’essuyant.

« Ce n’est rien !

— Quel est ce méchant oiseau ? interroge l’enfant.

— Méchant ? non. Pauvre bestion, je m’en veux de l’avoir tué. Il voulait délivrer sa compagne… Il y a dans l’Histoire naturelle de Pline un passage touchant sur l’affection conjugale chez les oiseaux. Mais le maître ne cite aucun trait aussi curieux que celui-ci. Par Pollux, je veux annoter et compléter ce chapitre ! »


II


Ayant heureusement terminé quelques affaires qui l’avaient appelé en Sicile, l’esprit en repos, Norbanus prenait plaisir à errer sans guide, au gré de sa fantaisie, dans cette ville bien différente de Rome.

Les rues, encombrées de peuple, étaient bordées tantôt de petites boutiques que surmontaient des enseignes coloriées, tantôt de grands entrepôts où s’amoncelaient des marchandises de toutes sortes provenant de tous les pays connus. Il y avait nombre d’hôtelleries aux porches profonds, assez semblables aux fondouks orientaux d’aujourd’hui ; à tous les coins de rues, des tavernes d’où sortaient des bruits de discussions, de marchandages, des chiffres criés, hurlés, des tintements de pièces de monnaie.

Messana était alors un centre commercial très important, le carrefour des routes de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique.

Les bigarrures de la foule étaient bien de nature à amuser l’œil d’un citadin qui n’avait jamais quitté les Sept-Collines.

C’étaient des marchands grecs rasés, la taille mince, la chlamyde pendant élégamment sur l’épaule gauche, des Cantabres au chapeau pyramidal, aux longs colliers de pierres noires polies, des Juifs en turban, habillés de bleu, des Égyptiens au teint de brique, des Carthaginois de forte corpulence, costumés de noir et de rouge, des Numides enveloppés de manteaux blancs noués aux tempes par une courroie, des nègres à tête simiesque, les bras cerclés de larges anneaux d’ivoire.

Artiste et antiquaire, le chevalier s’arrêtait devant certaines constructions : on découvrait çà et là l’empreinte de chacun des peuples d’origines diverses qui s’étaient succédé en Sicile.

Dans ce grenier à blé municipal, bâtiment octogone, au toit conique, Norbanus reconnaissait un ancien temple carthaginois consacré à Baal.

Cette très vieille maison est de style grec. Dans le corridor d’entrée, on entrevoit un hermès, des colonnes doriques, enduites de stuc rouge, encadrant une cour.

Ici, de petits palais neufs sur le modèle de ceux de Rome : quatre colonnes cannelées, un fronton polychrome ; suivant la mode charmante du temps, le mot ave (bonjour) est incrusté dans la mosaïque du seuil.

Au-dessus d’une vaste enceinte, l’inscription Marché aux chevaux attira Norbanus. Il était grand amateur de beaux coursiers ; ses chars, ses cochers étaient réputés aux jeux du Cirque.

Il entra, espérant trouver quelques échantillons des races numides ou arabes ; son attente fut trompée. L’enclos était occupé entièrement par une troupe d’éléphants venus d’Asie et destinés au Colisée.

En sortant, le Romain fut salué par un jeune homme portant l’habillement des gens du peuple et dont les yeux bleus, le poil blond tirant sur le roux, semblaient indiquer une origine germanique ; il avait les moustaches longues et pendantes, à la mode des Barbares.

« Toi, Matoas ! s’écria Norbanus. Ton maître est-il ici ?

— Seigneur, je n’ai plus de maître ! répondit Matoas, redressant avec fierté sa tête énergique.

— Que veux-tu dire ?

— Le seigneur Maxime Carbo m’a affranchi.

— En effet, je n’avais pas remarqué sur ta tête ce pileum (bonnet de feutre, insigne de