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MONOGRAPHIES VÉGÉTALES

vraie, car la longévité bien connue de ces puissants conifères permet de croire à une si prodigieuse antiquité.

Les vestiges de ces anciennes forêts de cèdres qui couronnaient le Liban, nous dit M. Pouchet, sont religieusement visités par les voyageurs qui parcourent la Syrie, mais ces forêts que Salomon faisait dévaster jadis par quatre-vingt-dix mille hommes, pour la construction de son temple, sont aujourd’hui à peu près anéanties. En 1787, un voyageur ne compta plus qu’une centaine de pieds, parmi lesquels sept se faisaient remarquer par leur taille colossale. En 1830, ces quelques débris existaient encore et seront, il faut l’espérer du moins, longtemps conservés par la vénération traditionnelle dont les entourent les populations arabes.

Toutefois, il ne faudrait pas croire que le Liban ait le monopole de tous les cèdres du monde. Les voyageurs parlent avec admiration des splendides forêts de l’Asie-Mineure et le Taurus, en Cilicie, se fait particulièrement remarquer par les agglomérations végétales de ses vallées et de ses gorges, dont la richesse défie toute description. Cèdres, chênes, pins, sapins, ifs, oliviers, myrthes et lauriers, tous s’y mêlent dans le plus opulent désordre ; mais ce sont les cèdres surtout qui, au-dessus des massifs inférieurs, forment des groupes d’une incomparable beauté.

La physionomie du cèdre est tout à fait caractéristique. Empruntant au sapin ses branches horizontales, mais surtout au pin pignon sa vaste tête couronnée, il joint à l’austérité du sombre et immobile feuillage des conifères la prestance des plus beaux chênes. Il a des inflexions de branches d’une puissance magistrale, et il est tels de ces arbres qui, renversés en arrière comme un athlète dont les reins se cambrent, profilent sur le ciel les plus fières silhouettes. Jeunes, ils ont, dit M. Ch. Martins, une forme pyramidale ; mais quand ils s’élèvent au-dessus de leurs voisins ou du rocher qui les protège, un coup de vent, un coup de foudre, un insecte qui ronge leur pousse terminale, les privent très souvent de leur flèche, et l’arbre demeure découronné. Alors, les branches s’étalant horizontalement et formant des plans de verdure superposés les uns aux autres, dérobent le ciel aux voyageurs qui s’avancent dans l’obscurité de ces voûtes impénétrables. Du haut d’une montagne, le spectacle est encore plus grandiose. Ces surfaces horizontales ressemblent alors à des pelouses d’un vert sombre ou d’un glauque plus clair, sur lesquelles sont semés des cônes violacés, — abîmes de verdure où l’œil plonge et s’égare.

Le cèdre est un des plus grands arbres qui existent. Son tronc acquiert jusqu’à dix mètres de circonférence sur une hauteur de quarante, et cette prodigieuse tige, se fasciculant d’énormes branches secondaires, se couronne d’une tête colossale.

Le plus énorme cèdre que mentionne l’histoire est celui qui servit à la construction de la galère de Démétrius qui avait onze rangs de rames et cent trente pieds de longueur. C’est également en bois de cèdre qu’étaient construits ces fameux vaisseaux liburniques sur lesquels Caligula longea les rivages de l’Italie, vaisseaux d’un luxe aussi insensé que leur maître, où l’or et les pierreries se combinaient aux peintures les plus riches et sur lesquels se trouvaient des portiques, des salles de bains et des appartements décorés d’arbres chargés de leurs fruits mûrs.

Le bois de cèdre, comme celui de presque tous les conifères a, de tous les temps, été regardé comme à peu près incorruptible ; aussi est-ce pour cela que Salomon l’avait choisi pour l’édification de son temple fastueux, et que les Grecs et les Romains l’employaient pour en faire des statues à leurs dieux. L’un des plus beaux cèdres du Liban que l’on connaisse en Europe, est celui que l’on voit aujourd’hui au Jardin des Plantes de Paris, où il a été planté, en 1735, par Bernard de Jussieu, qui l’apporta d’Angleterre — dans son chapeau, ajoutent les historiens facétieux.

Éd. GRIMARD.