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jours, afin de renouveler une partie de nos provisions, surtout en viande fraîche, et varier notre ordinaire de salaisons.

— Et sur quel point de la côte le Saint-Enoch ira-t-il jeter l’ancre ?…

— Au havre d’Akaroa.

— Où il arrivera ?…

— Demain dans la matinée…

— Vous y avez déjà fait relâche ?…

— Plusieurs fois… J’en connais les passes, et, en cas de gros temps, je suis assuré d’y trouver un excellent abri. »

Cependant, si bon pratique que fût M. Bourcart des parages d’Akaroa, il ne put que très difficilement atteindre le port. Lorsqu’il fut en vue de terre, le Saint-Enoch, ayant vent debout, dut louvoyer par forte brise. Puis, au moment où il n’avait plus à tirer que deux bordées pour donner dans le chenal, son amure de grand foc cassa pendant le virement, et il fallut revenir au large.

D’ailleurs, le vent fraîchissait, la mer devenait extrêmement dure, et l’après-midi il fut impossible de gagner Akaroa. Ne voulant pas être de nuit trop près de terre, le capitaine Bourcart fit vent arrière jusqu’à six heures du soir, puis revint au plus près et boulina sous petite toile en attendant le jour.

Le lendemain, 17 février, le Saint-Enoch put enfin suivre cette espèce de canal sinueux peu large, encaissé entre des collines assez élevées, qui conduit à Akaroa. Sur le rivage apparaissaient quelques fermes et, au flanc des collines, bœufs et vaches paissaient en pleins pâturages.

Après avoir navigué sur une longueur de huit milles et demi, toujours en louvoyant, le Saint-Enoch laissa tomber son ancre un peu avant midi.

Akaroa appartient à la presqu’île de Banks, qui se détache de la côte de Tawai-Pounamou au-dessous du quarante-quatrième parallèle. Elle forme une annexe de la province de Canterbury, l’une des deux grandes divisions de l’île. À cette époque, la ville n’était encore qu’un village, bâti à droite du détroit, en face de montagnes échelonnées sur l’autre rive à perte de vue. De ce côté habitaient les naturels, les Maoris, au milieu de magnifiques bois de sapins, qui fournissent d’excellentes mâtures à la construction maritime.

Le village comprenait alors trois petites colonies d’Anglais, d’Allemands, de Français, qui y furent amenés en 1840 par le navire Robert-de-Paris. Le Gouvernement concéda à ces colons une certaine quantité de terres, dont il leur abandonnait tout le profit qu’ils en sauraient tirer. Aussi des champs de blé, des jardins autour de nombreuses maisons en planches, occupent-ils le sol riverain, qui produit toutes espèces de légumes et de fruits, — principalement les pêches, non moins abondantes que savoureuses.

À l’endroit où mouilla le Saint-Enoch se dessinait une sorte de lagon, du milieu duquel émergeait un îlot désert. Quelques navires s’y trouvaient en relâche, entre autres un américain, le Zireh-Swif, qui avait déjà capturé plusieurs baleines. M. Bourcart se rendit à bord de ce navire pour acheter une caisse de tabac, sa provision commençant à diminuer. En somme, tout le temps de la relâche fut employé à renouveler les réserves d’eau et de bois, puis à nettoyer la coque du navire. L’eau douce, on la puisait près de la colonie anglaise à même un petit courant limpide. Le bois, on allait le couper sur la rive du détroit fréquentée par les Maoris. Cependant ces indigènes finirent par s’y opposer, prétendant obtenir une indemnité. Il parut donc préférable de se fournir sur l’autre rive, où le bois ne coûtait que la peine de l’abattre et de le débiter. Quant à la viande fraîche, le cuisinier s’en procurait aisément, et plusieurs bœufs, dépecés ou vivants, devaient être embarqués au moment du départ.

Le surlendemain de l’arrivée du Saint-Enoch, un baleinier français entra dans le port d’Akaroa, son pavillon à la corne. Une politesse vaut une politesse. Quand le capitaine Bourcart voulut hisser le sien, on s’aperçut qu’il était tout noir de la poussière de charbon de bois dont les coffres avaient été recouverts afin de détruire les rats qui s’étaient abominablement multipliés depuis le départ du Havre et empestaient le navire.