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J. DE COULOMB


II


Tout l’émerveilla : la campagne qui fuyait devant les glaces du wagon, Marseille et le tohu-bohu cosmopolite de sa belle Canebière, le paquebot qui les emportait, et surtout la mer, plus bleue encore que les yeux de Vincenille, ainsi qu’il l’écrivit aux Borderies, à la première escale.

M. de Ribagnac s’amusait des exclamations de son petit secrétaire : peu de jours lui avaient suffi pour l’apprécier et s’y attacher.

Il était si gai, si spontané, si intelligent, si avide de savoir !

De lui-même il avait questionné le baron ; il s’était intéressé à ces fouilles que celui-ci allait présider dès que le Service des Antiquités du Caire lui en aurait donné l’autorisation officielle.

Très vite il sut ce qu’on appelait les Pyramides, le Sphinx, les Colosses, le Ramseum… les noms les plus barbares ne l’arrêtaient pas !…

Pendant la traversée de cinq jours sur une mer d’huile, M. de Ribagnac lui dicta quelques notes de voyage.

L’enfant avait une écriture nette et ferme dont les lignes se. rangeaient comme des soldats en front de bataille, une véritable écriture d’algébriste, prétendait le baron, qui de plus en plus se réjouissait de sa trouvaille.

Le soir, Vincenou aimait à s’attarder sur le pont… Parfois, on apercevait une côte sombre piquée de points lumineux qui étaient une ville ou bien les feux d’un phare lointain.

Le plus souvent, c’était la solitude complète toute peuplée d’ombres que l’enfant reconnaissait sans peine : Ulysse, saint Louis, Bonaparte et « le vieux » avec son bonnet à poil et son air jovial.

Que de fois, par ces belles nuits sereines, il avait dû chanter à ses compagnons de l’avant les anciens refrains du Périgord, emportés des Borderies ! Peut-être les vagues s’en souvenaient-elles encore ?…

Vincenou trouva qu’Alexandrie était trop près de Marseille ; il avait du regret de se séparer de la grande mer bleue.

L’animation du Caire le consola un peu ; il n’avait pas beaucoup de termes de comparaison : cependant le Nil lui rappela la Dordogne : l’Ezbekieh, avec ses beaux jardins et ses somptueuses villas européennes, pouvait être rapproché des environs de Périgueux, les palmiers exceptés !

Quant au Mousky, c’était comme la foire de Bordeaux, un jour de train de plaisir.

On criait, on gesticulait… La foule grouillante vous portait presque…

Sur la chaussée encombrée se pressaient des âniers vêtus de robes bleues, des Arabes coiffés de turbans, des Égyptiens, le fez sur l’oreille, des soldats anglais imperturbables, de riches marchands en sandales brodées, des mules blanches, des chameaux renfrognés, des victorias élégantes, des chariots rustiques, des femmes voilées, des fellahs, des porteurs d’eau, des marchands de turquoises et de scarabées, des Bédouins en guenilles, et tous, choses, bêtes et gens, faisaient à Vincenou l’effet de se hâter pour quelque mystérieuse représentation foraine.

Le bazar le reposait du Mousky : c’était un quartier si tranquille, avec de frais recoins d’ombre, le vrai sanctuaire du travail !

Les ruelles s’entre-croisaient comme les mailles d’un filet ; des arcades les enjambaient et à midi seulement le soleil osait s’y glisser.

Dans la demi-obscurité, les voiles d’Assouan, tissés d’or et d’argent, scintillaient auprès des antiques tapis de prières ; des jades, sertis de pierreries, côtoyaient des armes damasquinées et les turquoises de Perse se mêlaient aux émeraudes du mont Zabarah.

Vincenou était un peu de la famille des alouettes : il allait à ce qui brille ; toutes ces choses miroitantes et reluisantes le fascinaient !

Une boutique surtout exerçait sur lui une véritable attraction : c’était celle d’un revendeur juif ; l’homme avait les cheveux crépus sous la tarbouch, le nez crochu, le visage olivâtre, la bouche lippue, les yeux fuyants et tout autour de lui étaient disséminés des sébiles et des coffrets, remplis de pierres