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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/83

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SEMAINE DES ENFANTS

rience, le dernier adieu échangé, de la pointe du môle au bateau qui fuyait là-bas, vers la haute mer, emportant le mari, le père, pour ne le plus ramener.

« Que de deuils déjà, songeait Pierre ; et je n’ai que vingt-quatre ans !

— Monsieur ! » appela soudain petit Greg d’une voix où perçaient la surprise et l’inquiétude.

Et, quand Pierre se fut retourné :

« La vieille dame vient donc travailler ici ?

— Ma tante ! apporter chez moi son sac en crin noir et tout ce qu’il recèle ? S’y installer ? Il ne manquerait plus que ça ! » tonna Marcenay, qui traversa la pièce en trois enjambées.

Mais, apercevant ce qui causait l’émoi du gamin — une corbeille à ouvrage posée sur un guéridon, en vis-à-vis avec une bergère ancienne à coussins de plumes — :

« C’est maman qui travaillait là ; c’était sa place, expliqua le jeune homme à voix très basse. Ne dérange rien. »

Inconsciemment, sa main caressait le rideau de tulle brodé à moitié et où l’aiguille était encore piquée. Petit Greg ne posa pas d’autre question. Il ne savait quoi dire, si fâché d’avoir interrogé Pierre, en remarquant les deux larmes qui brouillaient ses yeux.

À la fin, il se hasarda à proposer :

« Si vous vouliez, monsieur, c’est moi qui me chargerais d’épousseter votre chambre. Oh non ! je ne dérangerais rien, allez ! »

Il ajouta, hochant la tête tristement :

« Vous êtes encore bien heureux. Moi, il ne me reste rien du tout de maman, ni de mon père ; et de grand-père, rien que son chapeau et le vieux parapluie dont j’ai fait mon manteau. »

Un sourire passa, irrésistible, sur les lèvres de Pierre, à l’évocation de cette malheureuse loque. Le côté attendrissant de la réflexion de Greg s’effaça, quoi qu’il en eût, devant la petite silhouette si comique apparue là-bas, dans la cour de la gare.

Puis, une pensée lui vint, qui le fit attirer à lui l’enfant et l’embrasser.

Orphelins tous les deux…

Qu’importait la différence d’âge, de situation : le malheur était le même. Il lui sembla que, entre lui et son petit protégé, c’était un lien de plus.

Cependant l’heure passait ; en ayant enfin conscience, Pierre prononça :

« Retournons auprès de mon oncle. Il doit être impatient de nous voir revenir. »

Ils redescendirent au jardin, contournant cette fois la maison, afin de traverser le petit bois dessiné en labyrinthe qui aboutissait au rond-point. Les allées — de simples sentiers — savamment combinées, faisaient d’interminables détours.

« On croirait se promener dans un bois très grand où on peut se perdre, observa Greg. Que c’est donc amusant ! Et de l’autre côté du clos, ces arbres qu’on aperçoit de l’entrée, c’est pareil ?

— Non ; là-bas, c’est le verger. Tout ce que tu as entrevu donne des fruits. Juge s’il y a de quoi se régaler.

— Et la vieille dame ?… » interrogea Greg d’un air sévère ; celui qu’elle devait prendre pour interdire de toucher à ses fruits, pensait-il.

Pierre se mit à rire.

« Rassure-toi, mon petit, je… »

Il n’acheva point sa phrase. On parlait, près de son oncle. La voix qui prononçait les mots parvenus à son oreille était jeune, rieuse… Comme elle vibrait joliment ! Le ton était décidé, le timbre doux. Et on n’avait pas sonné à la grille, il en était certain ; donc c’était une amie : la bonne fée de l’oncle Charlot, peut-être…

Il s’était arrêté. Greg l’imita ; et tous deux, gardant le silence, se tinrent en observation.

Pierre hésitait à paraître ainsi, brusquement, sans savoir devant qui. Et, de sa place, il était malaisé de l’apprendre.

Petit Greg, dont le regard interrogeait curieusement sa physionomie, devina son désir. Leste et souple, il se glissa, sans faire remuer une branche, au milieu du massif qui les gênait, écarta deux rameaux à hauteur d’homme, et se tournant vers Pierre :

« Vous voyez ? interrogea-t-il.

— Oui », fit celui-ci à voix basse, en posant un doigt sur ses lèvres souriantes, pour commander le silence à l’enfant.