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LA JUSTICE DES CHOSES

LA RÉCOMPENSE

On dinait de bonne heure chez Édouard. Aussi, quand il arriva, on était à table depuis longtemps. Sa mère le regarda d’un air de reproche et lui dit :

« Pourquoi venir si tard, Édouard ? »

Et son père ajouta d’un ton narquois, en lui montrant un plat vide :

« Tarde venientibus ossa. »

Édouard avait une bonne excuse à donner. Pourquoi ne la donna-t-il point ? Il se mit à table sans rien dire, fort de sa bonne conscience ; mais la vertu elle-même n’a pas le droit d’être rogue. Édouard l’était. Il trouvait mauvais qu’on le soupçonnât ; aussi gardait-il le silence de l’orgueil blessé. Tout simplement, c’était une sottise ; enfin les enfants ne sont pas parfaits.

Quand Édouard eut mangé d’un plat, il chercha des yeux le second ; mais il n’y avait plus rien sur la table qu’un peu de dessert.

« Tant pis pour les retardataires, dit le papa cette fois en bon français.

C’est ça ! s’écria le petit garçon vivement piqué et triomphant de l’injustice dont il se voyait l’objet, c’est ça ! Voilà la justice ! On vous dit d’être bon, obligeant, aimable, et puis, quand ça vous arrive de l’être, par hasard, crac ! on vous met au pain sec. »

Adrienne éclata de rire. Mais le papa prit un air sérieux.

« Voilà une réplique bien peu polie, Édouard. Il me semble que tu pourrais prendre la peine de t’expliquer avec nous plus clairement. »

Édouard baissa les yeux, et, tout simplement alors, raconta l’histoire de la petite blanchisseuse. Il rencontra en terminant le regard de sa mère et baissa les yeux de nouveau ; mais cette fois avec une émotion pleine de douceur, car il voyait sa maman contente de lui.

Après le dîner, notre collégien eut à faire un devoir pour le lendemain, puis il alla se coucher. Au moment de s’endormir, quand il eut reçu le baiser de sa mère, ce soir-là plus tendre que de coutume, il se rappela ce qu’il avait fait dans la journée et se sentit tout content. Et tandis que ses yeux s’alanguissaient et que ses idées se détachaient les unes des autres et s’éparpillaient, comme les grains d’un collier rompu, il voyait devant lui, vaguement, la maigrelette figure de la petite blanchisseuse, éclairée de ce regard doux et reconnaissant qu’elle avait attaché sur lui ; et peu à peu la figure disparut et il ne resta que l’œil animé de ce regard qui grandit, grandit et devint comme un soleil à la chaleur duquel Édouard voyait en rêve de belles fleurs et de beaux fruits naître autour de lui et former des bosquets délicieux et parfumés, où les oiseaux chantaient et où sa maman l’embrassait en disant : — Sois bon, tu seras heureux.

Le lendemain étant un jeudi, Édouard eut son après-midi de vacance. Ces jours-là, surtout quand il tombait des giboulées et qu’on ne pouvait sortir, Édouard était jaseur comme un merle. Il venait s’asseoir près de sa maman, et alors c’étaient des questions en masse ; puis venaient les confidences ; là, tranquille, entourant son genou de ses deux bras et se balançant un