« C’est une goutte parfumée de plus que nous avons jetée dans la coupe, n’est-ce pas, maman ? disait-il parfois.
Oui, mon fils, et tout près du bord où se posent nos lèvres, dans notre vie même. »
ÉDOUARD CRUEL.
Ce jour-là, Édouard n’était pas revenu seul du collége ; il s’était laissé entraîner par un groupe de ses camarades, et il revenait du lycée Condorcet à Montmartre, par la plaine de Monceaux.
Il s’agissait de lancer un cerf-volant.
Le vent était frais ; il soufflait du nord ; mais pas assez bas pour bien servir le projet de nos écoliers ; le cerf-volant avait peine à s’enlever. Il flottait un peu, montait un instant sous un souffle favorable, mais trop court ; s’abaissait, se relevait, ballottait de ci et de là, mais en gagnant de plus en plus du côté de la terre où il finissait par s’abattre piteusement, les ailes basses et la queue traînante. C’était désespérant.
Et pourtant le vent balayait là-haut les nuages et les faisait filer si vite, si vite ! — Ah ! s’il avait soufflé dans la plaine Monceaux comme dans la plaine bleue ! Que c’eût été beau !
Mais voilà ! cela n’était pas ainsi, et nos garçons étaient fort désappointés.
« Toute la difficulté consiste à faire monter le cerf-volant jusqu’à la zone où le vent règne, » disait un fort en physique.
Mon Dieu oui, ce n’était pas autre chose. Ce n’était bien que cela ; mais c’était tout ; car le cerf-volant n’y montait pas.
La contrariété de ces messieurs était vive, ils étaient de fort mauvaise humeur.
Ils lançaient de nouveau le cerf-volant, quand un chien qui passait par là, le nez à terre et semblant quêter pâture, voyant cette chose, à lui inconnue, qui se balançait au-dessus du sol, se mit à aboyer de toutes ses forces.
Les petits garçons n’y firent pas d’abord grande attention ; mais quand le cerf-volant s’abattit, le chien, aboyant toujours, courut sus, et l’eût déchiré sans doute, si toute la bande ne l’eût chassé avec de grands cris.
C’était un jeune chien, évidemment. Sa voix était claire et mal formée, et sa physionomie avait ce caractère naïf, et ses mouvements cette vivacité maladroite qui appartiennent à l’enfance. Voyant jouer ces petits garçons, il voulait jouer aussi.
Effrayé par leurs menaces et atteint d’un coup de pied, il s’éloigna en criant ; mais bientôt voyant le cerf-volant s’élever encore, et cette chose décidément lui paraissant suspecte ou provoquante, il se mit de nouveau à japper en courant après.
« Veux-tu nous laisser tranquilles, vilaine bête ! » lui cria Édouard.
Et, comme à cette parole il joignait un geste agressif contre l’animal, celui-ci se posa sur la défensive, en grondant et montrant une rangée de dents blanches et pointues. Édouard recula. Le chien avança. Édouard eut peur et se mit à courir vers ses camarades. Le chien courut après lui en aboyant, mais sans lui faire de mal. Toutefois, Édouard fut très-mécontent d’avoir eu peur, d’autant plus que ses camarades se moquaient de lui.
À ce moment, le cerf-volant s’abattait une dixième fois. Le chien, déjà excité, fondit dessus, comme fait un jeune chat sur la boule de papier qu’on lui tend au