Page:Magasin d education et de recreation - vol 15 - 1871-1872.djvu/165

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vinrent une infranchissable barrière. Et il en fut de même à l’entrée de tous les chemins. Édouard, désespéré, se retira au milieu du carrefour et se prit à pleurer.

« Qu’avez-vous, mon enfant ? » lui dit un vieux monsieur en lui mettant la patte sur l’épaule ; car ce vieux monsieur, qui avait habit, cravate et chapeau de soie, était cependant un chien.

« Je voudrais passer, lui dit Édouard, et vous seriez bien bon de me conduire auprès de ma mère.

— Je vais vous y conduire, mon enfant ; ne pleurez plus, » dit le vieux monsieur.

Et il prit le bras d’Édouard, qui le suivit.

Mais en chemin le vieux monsieur, ou si vous voulez le vieux chien, se trouva être encore le chien jaune, le pauvre jeune chien tué par Édouard et ses camarades, lequel en casquette et en veste d’écolier disait à Édouard :

« Pourquoi m’avoir tué ? Que t’avais-je fait ?

— J’en suis bien fâché, va, répondit Édouard en pleurant.

— Je le crois, car les plus malheureux ce sont les méchants. Tu m’as fait bien du mal ; mais tu souffriras encore plus que tu ne m’as fait souffrir. Tiens, voilà ta punition. »

Ils étaient arrivés à l’entrée d’une grotte remplie de chiens morts, aux yeux vitreux, autour desquels rampaient et s’entrelaçaient d’affreux reptiles.

« C’est là que désormais tu vas habiter, dit le jeune chien.

— Oh ! non ! non ! cria Édouard, je ne veux pas.

— Il le faut. C’est la justice qui l’ordonne. »

Et d’une patte cassée qui pendait au bout de sa manche et qui pourtant se trouva douée d’une force irrésistible, le chien, poussant Édouard, l’envoya tomber dans l’horrible grotte, sur un des cadavres, dont le contact produisit dans tout son être un épouvantable choc.

« Mais tu es malade ! mon pauvre enfant, » dit une voix bien chère.

Et c’était une main douce et tiède qui pressait la main d’Édouard, et ce fut dans le sein de sa mère qu’il se réfugia tout éperdu, tout souffrant encore de l’affreuse étreinte.

« Emmène-moi, maman, partons ! sortons de cette grotte ! vite !

— Il n’y a pas de grotte ici, cher enfant. Vois, tu rêves encore : tu es dans ton petit lit et dans les bras de ta mère, et là tu n’as rien à craindre, mon Édouard. Ouvre les yeux. Réveille-toi bien. »

Et de bons baisers entrecoupaient ces paroles.

Ce furent ces baisers qui réveillèrent tout à fait Édouard, car ils allèrent jusqu’au fond trouver sa conscience qui lui dit : — Ce n’est pas toi qu’on embrasse, Édouard. Ce n’est pas l’Édouard d’hier et d’aujourd’hui, le bourreau du pauvre chien, mais l’Édouard innocent que tu étais avant cette méchante action. Les baisers de ta mère ne t’appartiennent plus.

Il fondit en larmes alors, et avec des sanglots, des paroles entrecoupées, il confia tout à sa mère et la vit pleurer aussi.

« Malheureux enfant ! » dit-elle.

Ce fut tout ; elle ne lui fit pas d’autre reproche. Et elle le soigna, lui donnant à boire et lui mettant de l’eau sur le front ; car il avait la fièvre. Mais comme elle était triste, sa pauvre maman ! Et cette tristesse et ce silence accablaient Édouard plus que des reproches ; car il voyait bien que sa mère, malgré la peine qu’elle éprouvait de le voir malade, ne pouvait rien dire pour le consoler, et qu’elle éprouvait plus de peine encore de le savoir si méchant.