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Page:Magasin d education et de recreation - vol 15 - 1871-1872.djvu/182

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— Eh bien ! alors… nous verrons, »

C’était presque la permission désirée. Édouard embrassa bien fort sa bonne maman.

« C’est égal, dit Adrienne en regardant le chien avec une petite moue dédaigneuse, il aurait dû s’arranger pour être plus beau.

— Sans doute, répondit Édouard piqué, — car son chien désormais faisait partie de lui-même, — il aurait fallu à mademoiselle une petite levrette hargneuse et pimbêche ou un griffon blanc aux yeux chassieux, Et puis, ajouta-t-il vivement, on ne choisit pas les malheureux, on les recueille comme ils sont.

— À la bonne heure ! dit la petite fille étonnée qui ne put qu’admirer cette bonne parole ; je vois que monsieur Édouard devient moraliste, et il fait bien. »

Car souvent Adrienne avait eu à défendre les animaux des taquineries de son frère, et elle ignorait l’incident qui avait changé à ce sujet le cœur d’Édouard.

Celui-ci, aidé des conseils de sa maman, se mit à débarbouiller le pauvre chien, à entourer sa patte de linges imbibés d’arnica et enfin à lui donner à souper, après quoi Édouard alla se débarbouiller lui-même. Touché de tant de bons soins, le chien se passionna pour son nouveau maître et ne voulut plus le quitter, si bien qu’il fallut — Édouard ne s’y opposa pas, au contraire, — qu’il fallut le laisser coucher dans la chambre d’Édouard. La descente de lit lui fut assignée pour couchette par la maman qui les laissa ensemble. . Mais une descente de lit, et surtout cellelà qui était si mince, n’était-ce pas bien dur pour un malade ? C’est ce que pensait Édouard, et cette pensée le tourmenta au point qu’il ralluma sa bougie. Le chien

aussitôt releva la tête. « En effet, il ne dort pas, se dit Édouard. Tu souffres, n’est-ce pas, ma pauvre bête ? Viens ici, »

Il montrait le pied de son lit et l’édredon moelleux qui le garnissait. Le chien ne se le fit pas répéter ; ses trois pattes se tirèrent de l’escalade assez heureusement, et, ce fut dans ces positions respectives qu’ils s’endormirent tous les deux.

Cette nuit-là encore Édouard rêva ; il rêva de nouveau du pauvre chien jaune qui avait été sa victime. I] revit la scène du meurtre dans toutes ses péripéties ; il en ressentait l’horreur ; chaque pierre qui frappait le pauvre animal le faisait frémir, et enfin — car sa mémoire implacable le forçait à agir dans ce rêve comme il avait agi dans la réalité — quand lui-même lançant à son tour sa pierre, il vit le chien frappé par elle à la tête s’affaisser avec un dernier hurlement plaintif, il se réveilla crispé, frémissant, et dans ce moment de trouble et de confusion, qui est le passage du rêve au réel, la dernière intonation de ce cri frappa son oreille ; car c’était lui-même qui, sous l’empire de ce cauchemar, poussait des cris inarticulés. Mais tout aussitôt il sentit une langue douce qui lui caressait la joue ; des sons presque semblables à ceux de la compassion humaine lui disaient sans paroles : — Je souffre avec toi, pour toi ! Les pattes du chien qu’il avait sauvé la veille et si fraternellement abrité, étaient passées autour de son cou.

« Ah ! s’écria Édouard qui, n’ayant pas encore bien retrouvé ses sens, confondit un peu le mort et le vivant ; ah ! merci ! tu me pardonnes ! »

Après de longues délibérations en famille et même un débat assez vif entre Adrienne et Édouard, le chien fut nommé Apis, parce qu’il était blanc, tacheté de brun. Un Égyptien d’autrefois n’eût sans doute pas été content ; mais Édouard trouvait la chose parfaite. Du reste, Adrienne s’était trompée dans son jugement sur la beauté du protégé de son frère ; car Apis,