Page:Magasin d education et de recreation - vol 15 - 1871-1872.djvu/312

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développait en tous sens, et dont les mots heureux, les sentiments spontanés, faisaient augurer à ceux qui l’aimaient que cet enfant serait un homme, bon, intelligent et aimable. — Non, c’était un pauvre enfant maussade, fatigué, replié sur lui-même, et qui semblant frappé d’un mal inconnu, se rachitisait au moral et au physique. Ses parents avaient consulté le médecin ; mais celui-ci, jugeant sur l’apparence et croyant à cet enfant des habitudes régulières, n°y comprenait rien.

Enfin, arriva l’incident qui découvrit tout. — Je dis l’incident, et non pas un incident, parce que cet incident-là arrive toujours, et qu’il n’est point, comme je vous l’ai dit plus haut, de mensonge, ou d’action mauvaise, qui ne se découvre tôt ou tard. Les choses de cette nature sont au sein des choses réelles de la vie au grand jour, comme ces abcès qui se forment à l’intérieur des tissus, et qui finissent toujours par percer. Ceux qui n’ont pas honte du mal pour eux-mêmes, et qui croient y trouver des joies secrètes, devraient au moins se rendre compte de cela.

Les finances du club de la Nouvelle-Basoche décidément allaient mal. On devait déjà beaucoup au limonadier, et il ne voulait plus faire crédit. Il va sans dire que cet homme, qui recevait ainsi chez lui des enfants, à l’insu de leurs parents, était un malhonnête homme, et leur faisait payer sa complicité, en leur vendant tout très-cher.

Les collégiens s’en apercevaient et s’en plaignaient. Chacun à son tour citait tel ou tel autre café, où l’on avait des consommations meilleures à moindre prix, où l’on serait beaucoup mieux. — Fort bien : mais avant de quitter la Pintade, il fallait solder son compte, et la chose devenait de plus en plus difficile. Les ressources générales et particulières étaient épuisées ; l’argent manquait.

J’irai jusqu’au bout, si pénible qu’il me soit de tout dire. Mais une histoire vraie ne saurait s’écrire à l’eau de rose. Tant mieux si, comme j’en suis sûre, parmi mes lecteurs, personne n’a à faire son profit de ce chapitre de l’histoire d’Édouard.

Uà jour, au milieu du concert habituel des plaintes contre l’établissement de la Pintade, un des clubistes déclara qu’il savait un bon tour à jouer à cet infâme gargotier. Tout le monde dressa l’oreille, et d’avance on applaudit. Invité à s’expliquer, le préopinant parcourut la salle du regard et baissa la voix. On se groupa aussitôt autour de lui ; les bras s’entrelacèrent, les cous se tendirent.

« Vous voyez, dit-il, d’une voix contenue, que la fenêtre de cette salle donne sur une petite cour intérieure, où l’on ne va presque jamais. J’ai sauté l’autre jour par cette fenêtre et j’ai vu qu’un des huis de la cave s’ouvre au-dessous, Il est assez large pour qu’un des petits puisse y passer, et j’ai jeté dedans une allumette enflammée, qui est tombée sur le sol, en éclairant, à droite et à gauche, un tas de bouteilles poussiéreuses et cachetées. Ce n’est pas très-profond. Un des petits, bien attaché par_ une corde, au moyen de laquelle on l’aiderait à remonter, pourrait très-bien nous passer, à l’aide d’une autre corde, un sac, où il aurait préalablement enfermé quelques bouteilles. Nous nous vengerions ainsi, très-agréablement, de ce vieux pince-maille qui nous fait payer 5 fr. des liqueurs de dix sous.

Un grand silence accueillit d’abord cette proposition. Les enfants semblaient les uns étonnés, les autres glacés, et ils se regardaient les uns les autres, chacun attendant qu’un autre se prononçât. Ce fut l’un des grands, le plus mauvais sujet de tous, qui s’écria :

« Ça val ! ça sera un bon tour !

— Parbleu ! dit un autre, pourquoi pas ?