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Page:Magasin d education et de recreation - vol 15 - 1871-1872.djvu/96

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c’était un jeu. C’est toi qui as frappé la première. Si ton frère n’était pas tombé, vous vous seriez donc jetés l’un sur l’autre et battus comme des bêtes fauves ? Et tu es l’ainée, Adrienne ! »

La petite baissa la tête en rougissant, et des larmes de regret vinrent à ses yeux ; car elle vit sa faute en ce moment.

« Toi, Édouard, quel triste plaisir cherches-tu dans l’ennui des autres ? La taquinerie peut être une excitation à la gaieté, quand elle est spirituelle, légère, et sait s’arrêter à temps ; mais maniée par un esprit lourd ou par un enfant dépourvu de tact et de mesure, elle devient un perpétuel agacement, un fléau. Cela excite à la fin l’impatience, puis la colère. On voulait jouer et l’on se fâche, on voulait rire et l’on finit par pleurer. »

Édouard, en effet, avait les yeux pleins de larmes ; car son épaule lui faisait très-mal. 11 était aussi fâché d’être grondé par sa maman. Elle reprit :

« C’est depuis que tu vas au collége que tu as cette mauvaise habitude. Il faudrait t’en défaire, mon enfant. Pour moi, si cela durait, je serais forcée de vous séparer ici, ta sœur et toi ; car je ne veux pas de batailles dans ma maison. Mais je te préviens que ce défaut a frappé d’autres personnes : je sais que tes petils camarades s’en plaignent et que leurs mamans ne sont pas du tout contentes de toi. L’autre jour tu as failli faire tomber Étienne du haut de l’escalier en le poussant sottement ; tu as fait pleurer Gilbert en Île rendant un objet de risée par un plumet que tu lui avais attaché au dos. Si tu voulais un peu réfléchir, tu verrais qu’en menaçant ainsi la tranquillité et la sécurité des autres tu ne peux pas te rendre agréable, et qu’on saura bien te faire sentir que tu ne l’es pas. »

Édouard baissa la tête, n’ayant rien à objecter à tout cela ; mais il n’y fit pas, à ce qu’il semble, grande attention, puisque, un instant après, il s’attirait de la part de Mariette une épithète fâcheuse, en ébranlant, au moment de son départ pour le collége, la sonnette de la maison, sans autre but que de causer à cette brave fille un dérangement inutile. Étrange plaisir que d’exciter contre soi des sentiments d’humeur et de faire dire qu’on est insupportable !

Pourtant Édouard avait bien senti que ce que lui disait sa mère était juste. Mais cela n’était guère entré plus avant que le tuyau de l’oreille. Il attendait, pour comprendre tout à fait, que de beaux et bons faits, bien concluants et patents comme des soufflets sur la face, vinssent lui prouver ce qu’on gagne à se rendre importun aux gens.

Nous sommes tous un peu comme cela, il faut bien le dire ; les grands eux-mêmes aussi bien que les petits. La leçon, même quand notre esprit l’approuve, suffit rarement ; il faut encore la preuve — qui malheureusement est dure parfois.

Un jour qu’Édouard rentrait à la maison, revenant du collège, il remarqua sur le trottoir un monsieur qui venait en face de lui, une grosse canne à la main, et qui portait de plus un nez… un nez vraiment extraordinaire, gros, gras, large, rouge, et sur le bout duquel deux ou trois boutons, placés à lavant-garde, prenaient l’air insolent de pierrots perchés sur un mur, un nez insensé, enfin. Mais, après tout, ce monsieur ne l’avait pas fait exprès ; il n’y avait probablement pas de sa faute, et il en devait être le plus gêné.

« M’sieur ! cria Édouard d’un ton perçant, au moment où l’homme au nez venait de le dépasser, m’sieur ! m’sieur ! »

Le monsieur se retourna, pensant peut-être que le feu venait de prendre à sa redingote, qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire. Mais il ne vit rien que