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Page:Magasin pittoresque 1.djvu/37

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BŒUFS SAUVAGES DANS LA MAREMME

Dans les ouvrages de géographie, on désigne sous le nom de Maremme cette contrée du grand-duché de Toscane qui borde la mer Méditerranée ; mais, en réalité, on doit aussi comprendre sous ce nom la campagne de Rome, car c’est partout la même nature.

Pendant la moitié de l’année, cette vaste étendue de côtes, qui se développe sur une longueur de cent lieues, est déserte, frappée de ce cruel fléau qu’on appelle mal aria. Les voyageurs qui l’ont traversée à cette époque n’y ont vu qu’une plaine abandonnée ; ils ont pris pour des friches les grandes terres qu’on laisse reposer pendant plusieurs années ; et si parfois, de loin en loin, quelques pâtres leur ont apparu, c’était pour leur offrir les profondes empreintes de l’influence funeste du climat.

Cependant la Maremme nourrit la moitié de l’Italie ; le sol est riche et productif. Pendant que les fièvres sont endormies, on se hâte de dérober au sol les richesses qu’il recèle. « On y voit alors, dit M. Didier, voyageur qui vient de décrire cette contrée pittoresque, cent charrues attelées à la fois de deux, trois, jusqu’à quatre paires de bœufs sauvages, labourant de front un champ de deux à trois lieues. Telles semailles, telles moissons : déchirées par de si puissans moyens, les terres saturniennes ne sont ni rebelles ni ingrates, et leur sein fécond ne s’ouvre pas en vain. Quand vient l’heure de la récolte, le fleuve des moissonneurs descendus des montagnes les inonde, et la solitude est tout-à-coup peuplée comme par enchantement. C’est là une des singularités de ces champs illustres, que tout y est brusque, subit, et que l’art des transitions y est pour ainsi dire inconnu : le matin une jachère immense, le soir un champ cultivé ; aujourd’hui un champ blond d’épis, demain encore une jachère aride. »

En été, tandis que les propriétaires des fermes se sauvent après la moisson faite dans l’intérieur des montagnes, les pasteurs, pour résister aux maladies qui règnent dans les plaines ouvertes, se réfugient dans les forêts, ou il est plus facile d’échapper à la mort. Là se rencontrent aussi des criminels, qui, pour soustraire leur tête à la poursuite des lois, la livrent à une atmosphère meurtrière, et acceptent des fermiers du voisinage quelque emploi.

La Maremme de Toscane et la Campagne de Rome sont les endroits de l’Italie les plus favorables pour élever les buffles, qui, tout en conservant leur férocité naturelle, y vivent néanmoins en troupeaux. La physionomie de ces animaux, la longueur formidable de leurs cornes, leurs formes


(Bœufs sauvages dans la Maremme.)


massives et la rapidité de leur course, tout cet aspect sauvage contraste singulièrement arec l’ordre et la régularité qui règnent au milieu des troupeaux ; là se manifeste à un haut degré l’empire de l’intelligence sur la force brutale. Écoutez encore M. Didier : « Ce qu’il y a de plus grandiose avec la moisson dans l’agriculture des Maremmes, c’est le gouvernement des troupeaux. Pas plus que le moissonneur, le pâtre n’est indigène ; descendu comme lui des montagnes dans la saison des neiges, il y remonte au printemps, et ses troupeaux arec lui. Roi du désert, le pâtre se promène en roi dans son empire{{||.}} À cheval et la lance au poing, il mesure d’un œil ardent l’horizon sans bornes, et rien n’échappe à sa vigilance. Malheur au taureau rebelle, à l’étalon révolté qui jettent le désordre au sein du troupeau ! le fer aigu se teint de leur sang enflammé ; ils rentrent confus dans le rang, et la brute indocile et vaincue reconnaît dans l’homme son maître : elle subit son joug en silence.

La gravure qui est en tête de cet article représente deux buffles qui couraient à la maraude, et que les pasteurs ramènent ; celle qui suit montre quatre de ces animaux attachés


(Bœufs sous le joug.)


sous un même joug, et conduits à la ville. Peut-être devrait-on en France adopter une méthode analogue