Page:Magog - L'homme qui devint gorille, publié dans l'Écho d'Alger du 18 nov au 27 déc 1925.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

II

UN APÔTRE ? UN FOU ?


Ceux d’entre-nous qui vivaient au commencement de ce siècle — le vingt et unième de notre ère — doivent se rappeler le glorieux tapage au milieu duquel émergèrent soudain le nom et la personnalité du professeur Fringue.

Son nom seul fut prononcé. Pourtant, il avait un collaborateur, le docteur Clodomir.

Les paroles du docteur Clodomir devaient être de diamant, tellement elles tombaient rares et limpides. Fringue, qui l’avait affublé du sobriquet de Silence, se figurait n’avoir en lui qu’un confident commode, à cause de l’art précieux qu’il avait d’écouter.

Il ne remarquait pas que là était précisément l’inappréciable mérite du docteur Silence : donner au cerveau du professeur une complète impression de sécurité et, par là, le libérer, le lâcher, en quelque sorte, la bride sur le cou, à travers l’infini des imaginations scientifiques. En galopant ainsi, le professeur Fringue ne s’occupait guère de ramasser les idées qu’il jetait à la volée. C’était le rôle de Clodomir de les recueillir et de les coordonner en gerbes précieuses. Il était le creuset dans lequel se cristallisait la pensée du savant. Et ses mots, brefs et rares, étaient l’éperon qui piquait les paresses de Fringue et l’empêchait de s’arrêter.

Voilà ce qu’était Clodomir : une force silencieuse et par conséquent effacée. Son rôle ne fit pas plus de bruit que lui-même. La foule ignora son nom. Il ne fut — et pour Fringue seulement — que le docteur Silence et ce nom enveloppa sa vie entière.

Revenons maintenant dans la salle où nous avons laissé les deux savants, pétrifiés par l’offre inattendue de leur énigmatique visiteur.