Page:Magog - L'homme qui devint gorille, publié dans l'Écho d'Alger du 18 nov au 27 déc 1925.djvu/147

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soulagé, mis en face d’une solution cherchée, et lui, si calme d’ordinaire, sembla subitement devenu agressif.

— « Quand même ! » déclara-t-il de sa voix, froide, où perçait du défi.

Et il ajouta aussitôt, comme s’il n’attendait que cette occasion d’exposer ses arguments ruminés d’avance.

Qu’est une individualité, en regard du but poursuivi ? La science est un Moloch, qui ne se contente pas de dévorer ses enfants, mais exige d’eux qu’ils lui dévouent d’autres victimes. Ne raillez pas, monsieur ! Donner sa vie n’est rien. Donner celle d’autrui exige Une conviction plus forte, une foi plus ardente. Cette foi est la mienne.

Le professeur Fringue dit doucement, presque humblement :

— Dans des corps étriqués, des pensées géantes agonisent ; des prisons débiles et morbides les paralysent, les enchaînent à la mort, les précipitent dans le gouffre avant le temps. Que de vérités demeurées ignorées ! Que de découvertes merveilleuses avortées, perdues pour l’humanité, parce que les cellules d’un cerveau génial furent vouées à la destruction avec le corps d’un cacochyme ! Demain, nous changerons tout cela ! Nous réformerons la nature selon la formule de la vie : aux bonnes semences les terres fécondes ; à l’ivraie la pierraille ! Vous aurez été le premier échelon de la marche vers la vérité.

— Malgré moi !

Mais, le savant avait prononcé son plaidoyer en courbant les épaules. La colère de Roland le dédaignait ; c’est au docteur Clodomir, redressé et inébranlable, qu’il répondit :

— Vous n’aviez pas le droit !… Ainsi, c’est consciemment que vous m’avez condamné à cette vie atroce ?

Le docteur Silence hésita ; puis il dit :

— Qu’importe une vie ?

— Misérable !