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— Avez-vous bien réfléchi ?… Je veux dire : savez-vous bien à quoi vous vous engagez ? J’ignore le mobile qui vous fait agir, mais, ma conscience m’oblige… me fait un devoir — il acheva sa phrase avec un effort visible — de vous ouvrir les yeux sur les risques que vous acceptez.

— Je survivrai, dit l’inconnu. Vous êtes un opérateur habile. Vous ne voulez pas dire que vous craignez de me voir mourir des suites de l’opération ?

— Non, ce n’est pas cela… quoi qu’il faille toujours envisager cette hypothèse… Mais, je suis sûr… oui, je crois être sûr que vous survivrez… Et c’est bien pis !

— En quoi ?

— Avez-vous songé ?… Fringue se tourna d’un air malheureux vers le docteur Silence. — Je dois dire cela, n’est-ce pas, Clodomir ? Je dois le dire ?… Avez-vous songé que vous vous réveillerez… ou, du moins, votre pensée, ce qui est votre individualité véritable… que vous vous réveillerez… en quelque sorte emprisonné… dans un corps de bête ?

— J’y ai songé.

— C’est une nécessité cruelle, reprit le professeur Fringue, après un silence. Théoriquement, la greffe du cerveau devrait avoir pour but de remplacer, dans un corps sain, un organe débile ou malade. Mais, pour la valeur de notre observation, la première observation, la première opération ne peut être tentée que sur des sujets parfaitement sains et entièrement normaux… Ce sera atroce !

— Atroce ! murmura le docteur Clodomir comme un faible écho.

Et ce mot, dans cette bouche qui s’ouvrait si peu, donnait véritablement une impression d’horreur.

Un éclair jaillit derrière les lunettes noires.

— Atroce, vraiment ? Vous êtes sûrs ?