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capable de fuir et d’appeler. Torture indicible, elle n’était plus, dans un corps paralysé, qu’une angoisse vivante qui attendait la mort — la plus horrible des morts.

Le gorille disparu, elle échappa à l’effroi frénétique de la vision ; elle put faire un geste, porter ses mains à ses yeux, les cacher, faire le noir en elle.

De son horrible voix, la bête parla, humble, suppliante, désespérée. Et cette voix qui parlait, que Violette comprenait, cette voix qui voulait rassurer, demeurait effrayante parce qu’elle était un mystère, parce qu’elle semblait venir du gouffre béant de l’inconnu, du monde invisible que frôle peut-être chacun des gestes de l’homme, mais dont il ne saurait, sans trembler, supporter la révélation. Cette voix extra-humaine, semblait surnaturelle, parce qu’elle était antinaturelle.

— C’est cela, cachez vos yeux… Ne regardez pas, dit le gorille. Mais ne tremblez pas, Violette. Je ne suis pas une bête… Je suis un homme…

Un homme, ce monstre ? Un homme, cette affolante apparition ?

Violette retrouvait les sensations de cauchemar qu’elle avait éprouvées lors de la folie de son fiancé. L’homme se taisait ; la bête parlait ; mais l’épouvante était la même.

— Je suis… Il ne faut pas que vous trembliez, Violette… Je voulais vous épargner cette horreur… Je voulais que vous ignoriez… Je voulais me résigner… Je n’ai pas pu. C’est trop affreux ! Le supplice est trop atroce ! Je deviens fou ! fou ! fou !…

Qui pourrait rendre l’hallucinante impression que produisaient ces mots saccadés, ces phrases hachées que le gorille semblait arracher de son être comme d’horribles lambeaux !

En les écoutant, la jeune fille, jetée hors de la réalité, perdait pied et roulait, prise de vertige, dans de fantastiques ténèbres où passaient des fulgurations monstrueuses.

— Il faut que je parle, haleta le gorille, il faut que je dise à quelqu’un qui sache… en qui je croie… à vous !… Il faut que je confie le secret… et le doute torturant… Que suis--